XXe siècle La IVe République au chevet de Versailles(1951-1957)
- mikaelamonteiro11
- Mar 30, 2024
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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le château de Versailles se trouve dans un état de dégradation assez alarmant. Au-delà de l’absence de travaux d’entretien, il souffre d’une certaine forme de désintérêt au moment où la priorité est donnée à la reconstruction du pays. La situation dramatique dans laquelle se trouve le domaine de Versailles va néanmoins conduire les gouvernements successifs de la IVe République à s’engager en faveur de sa sauvegarde. Un ambitieux programme de restauration, avec des mesures financières exceptionnelles, doublé d’une campagne médiatique pour faire appel à la générosité des Français, contribueront à la renaissance du château.

Depuis les grands travaux réalisés au début du règne du roi Louis-Philippe Ier, dans les années 1830, pour créer le musée dédié « à toutes les gloires de la France », Versailles n’a plus connu de rénovations importantes. Les seuls crédits alloués à l’entretien courant du domaine sont insuffisants, car ils dépendent du bon vouloir des gouvernements, dont la conservation de Versailles est loin d’être la priorité. Après la Première Guerre mondiale, c’est la générosité d’un mécène américain, John Davison Rockefeller, qui permettra de financer la réhabilitation du domaine, notamment le gros œuvre et les pièces d’eau, dans le parc. John Davison Rockefeller effectue un premier versement en 1924, puis un second en 1927. Avec, au total, une donation de trente-quatre millions de francs, la générosité de ce ressortissant américain sauve pour un temps Versailles de la ruine et entraîne un effort parallèle de la part du gouvernement français de l’ordre de dix-huit millions de francs. Puis, l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale vient interrompre cette ébauche de restauration et conduit, de nouveau, à un certain désintérêt pour le château de Versailles. Un manque de moyens et de matériaux rend impossible la mise en œuvre de travaux d’ampleur et empêche l’entretien courant du domaine. Sans compter que l’absence de chauffage, lors d’hivers rigoureux, ne fait qu’accélérer la dégradation du palais. À la fin des années 40, le constat est édifiant : derrière les façades somptueuses, les boiseries pourrissent sous l’effet de l’humidité, les murs se lézardent, les tableaux et tapisseries se détériorent et onze hectares de toiture menacent de s’effondrer, ainsi que les charpentes rongées de l’Opéra royal. Trianon et le Hameau de la Reine ne sont pas épargnés et se dégradent également de façon flagrante. Sous les lambourdes effondrées, « une véritable champignonnière » est même découverte. Dans le parc, c’est la même désolation puisque les bassins ne retiennent plus l’eau et les herbes folles envahissent les parterres, notamment à l’orangerie. Une action de grande envergure avec des travaux de fonds devient urgente. Outre le danger de voir s’écrouler un chef-d’œuvre de l’architecture classique et un symbole national, la sécurité des visiteurs elle-même est remise en question : certains d’entre eux « passent à travers les parquets » des appartements de Napoléon au Grand Trianon, comme le révèlera un article du journal Liberté du Centre, paru le 24 octobre 1949. Ce même jour, les pluies torrentielles qui se déversent sur le domaine de Versailles ne font que confirmer le très mauvais état général des toitures, des charpentes et du bâti, aussi bien au château qu’à Trianon.
Cinq milliards de francs de travaux
Quatre hommes vont alors conjuguer leurs efforts pour alerter les pouvoirs publics sur la situation dramatique dans laquelle se trouve le palais du Roi-soleil : Charles Mauricheau-Beaupré, le conservateur en chef du domaine des musées de Versailles et des Trianons depuis le mois de mai 1941, et André Japy, l’architecte en chef depuis 1940, ont alors pour interlocuteurs Georges Salles, le directeur des musées de France depuis 1945, et René Perchet, le directeur de l’Architecture au ministère des Affaires culturelles depuis 1947. À partir des nombreux courriers que leur font parvenir Charles Mauricheau-Beaupré et André Japy, Georges Salles et René Perchet prennent bien conscience de la situation alarmante du domaine, sans pour autant, à leur niveau, agir en faveur de Versailles étant donné les faibles moyens dont ils disposent. Pour tenter d’alerter les instances supérieures du gouvernement, André Japy et René Perchet rédigent, en cette année 1949, un rapport chiffrant à cinq milliards de francs le montant des travaux « absolument urgents et indispensables » à la conservation du domaine de Versailles, à commencer par des opérations de sauvegarde portant sur la maçonnerie, la charpente et la couverture. Ce rapport d’une vingtaine de pages ne rencontre que peu d’écho dans les sphères du pouvoir.
Charles Mauricheau-Beaupré tente alors de mobiliser l’opinion par le biais de la presse, laquelle connaît un essor sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 14 avril 1949, paraît dans le journal Le Figaro un article écrit par le journaliste Robert Bruyez intitulé « Laissera-t-on s’effondrer le château de Versailles ? », lequel se termine par une interpellation aussi bien adressée aux lecteurs qu’au gouvernement : « Il n’est pas un Français qui ne s’associera à [Mauricheau-Beaupré] pour lancer un cri d’alarme. Il n’est pas un Français non plus qui – conscient de la rentabilité d’une telle splendeur – ne s’élèvera contre la parcimonie des pouvoirs publics. » Plus intéressant encore se trouve être l’article paru dans le quotidien local Toutes les nouvelles de Versailles en date du 15 décembre 1949. Sous le titre « Expédition au château. La misère du Palais n’est même pas dorée », la gravité de la situation du domaine de Versailles y est dénoncée non sans humour et dérision. Des illustrations réalisées par Robert Traut représentent des visiteurs potentiels du château et l’équipement dont ils devraient se munir pour faire face aux dangers liés aux visites du château. Pour alerter sur la situation inquiétante du domaine, René Perchet, va même jusqu’à convoquer une conférence de presse, le 19 avril 1950, et annonce sans détour : « Le Palais de Versailles […] est aujourd’hui dans un état grave qui exigera une action continue pendant plusieurs années, soutenue par un effort financier qu’il n’est pas exagéré de chiffrer à près de cinq milliards pour les opérations les plus indispensables. » Pour l’heure, les crédits alloués au bureau des bâtiments civils et palais nationaux, auquel est rattaché le service de l’architecture de Versailles, s’élèvent pour l’année 1950 à 2,5 milliards de francs, à répartir entre près de 600 bâtiments civils et une trentaine de palais nationaux. Les cinq milliards nécessaires à la restauration du domaine représentent donc le double du budget annuel du service dont il dépend. À ces sommes viennent néanmoins s’ajouter les crédits du chapitre spécial « Travaux de conservation du château de Versailles », votés chaque année par le Parlement depuis 1949. La première année, ce sont 150 millions qui sont accordés au château, puis 200 millions en 1950 et 190 millions en 1951. Des sommes qui permettent à peine de subvenir aux frais d’entretien, et qui demeurent encore très loin des cinq milliards nécessaires pour entreprendre de grands travaux de restauration.
La nomination d’André Cornu
L’année 1951 marque un tournant majeur. Le 11 août, le lendemain de la composition du deuxième gouvernement dirigé par René Pleven, André Cornu, sénateur des Côtes-du-Nord (actuel département des Côtes-d’Armor), est nommé Secrétaire d’État aux Beaux-Arts rattaché au ministère de l’Éducation nationale. Cette nomination – une première sous la IVe République – fait naître une vague d’espoir dans le milieu culturel et artistique. « Le ministre de l’Instruction Publique ou de l’Éducation Nationale plus tard, considérait les Beaux-Arts un peu comme un violon d’Ingres. Telle était ma situation lorsque j’acceptai l’offre de Pleven », racontera bien des années plus tard André Cornu. Malgré la faible importance accordée à son secrétariat d’État, son nouveau titulaire entend faire preuve d’une forte volonté d’action. À peine nommé, André Cornu prend connaissance du rapport rédigé par André Japy et René Perchet deux années auparavant : « Je n’avais pas attendu d’être ministre des Beaux-Arts pour aimer Versailles, mais comme tout le monde, j’en ignorais les misères secrètes », confiera-t-il. Quelques mois plus tard, en novembre 1951, une importante chute de neige sur Versailles sert d’élément déclencheur. En raison de l’état de la toiture, la fonte de la neige engendre de dramatiques infiltrations d’eau qui endommagent directement l’intérieur du château. Charles Mauricheau-Beaupré adresse aussitôt un télégramme au Secrétaire d’État aux Beaux-Arts en guise d’appel au secours et pour l’alerter qu’il pleut dans la galerie des Glaces. Les peintures sont menacées. Il en est de même dans la chambre du Roi et dans plusieurs salons. Cet état de délabrement de Versailles nécessite, sans plus tarder, une intervention immédiate des pouvoirs publics pour éviter le pire.
Sensible à l’appel du conservateur en chef du domaine des musées de Versailles et des Trianons, André Cornu décide aussitôt de se rendre sur place et de constater par lui-même la situation. Pour cette visite, fixée à la date du 24 novembre, le Secrétaire d’État aux Beaux-Arts convie de nombreux journalistes et personnalités politiques pour que chacun mesure la misère dans laquelle se trouve le château. L’assemblée se rend tout d’abord à l’Opéra royal où André Japy insiste fortement sur la nécessité de refaire la charpente et la toiture, ce qui est évalué à environ 330 millions de francs. La visite se prolonge ensuite par les toitures et les Grands Appartements, pour s’achever dans le parc. À l’issue de la journée, aux microphones qui lui sont tendus, André Cornu déclare sans détour : « Je voudrais dire d’une manière très nette que j’espère que nous trouverons ces crédits d’une manière ou d’une autre et qu’en tout cas c’est une question qui urge […]. Nous avons l’intention de réparer [le château] dans le moindre délai possible, si toutefois nous en avons les moyens. » Cette visite du 24 novembre 1951 trouve un écho relativement important dans la presse et se montre plus efficace que la campagne amorcée en 1949. Les journalistes alternent entre consternation et indignation face à l’inaction du gouvernement. Les Actualités françaises, programme diffusé avant les séances de cinéma et donc susceptible de toucher un large public, va même jusqu’à consacrer, dans son édition du 13 décembre, un court reportage intitulé « Sauvons Versailles ! » Les images et le commentaire illustrent certains des maux dont souffre le château, et le reportage s’achève sur cette déclaration : « Il faut sauver Versailles ! »
Le lancement d’une souscription nationale
Après avoir envisagé de lancer un emprunt de cinq milliards de francs pour rassembler les fonds nécessaires à cette gigantesque œuvre de remise en état, André Cornu opte finalement pour la solution d’une souscription nationale : « Je ne voulais pas que la restauration de Versailles, partie intégrante du patrimoine français, fût assurée uniquement par des étrangers, fussent-ils aussi bons amis que les Américains », argumentera André Cornu une vingtaine d’années plus tard. L’objectif est donc non seulement de récolter de l’argent, mais aussi de tenter de sensibiliser les Français au sort de leur patrimoine et de les fédérer autour de Versailles, ce qui montre d’emblée que le mouvement a également des visées morales et patriotiques. André Cornu est un homme habitué aux médias et parfaitement conscient de leur importance pour mobiliser l’opinion. Le Secrétaire d’État dispose, en effet, d’un solide réseau de connaissances dans la presse, d’une grande utilité pour la campagne dans laquelle il se lance.
Afin d’ouvrir la souscription de la manière la plus efficace possible et de lui accorder une large diffusion, André Cornu choisit de lancer un appel à la radio pour marquer symboliquement le début de la campagne de sauvegarde. Dans son allocution radiophonique du 1er février 1952, le Secrétaire d’État annonce deux mesures importantes, la première étant l’ouverture d’une souscription placée sous le haut patronage du président de la République, des présidents des Grandes Assemblées, du président du Conseil et des ministres de l’Éducation nationale, des Finances, des Affaires étrangères, de la Guerre et de l’Information. Les cotisations pour cette souscription peuvent être adressées par l’intermédiaire de deux comptes en banque. La seconde mesure est la création d’un « Comité national pour la sauvegarde du château de Versailles ». Comme le rapportera André Cornu dans ses mémoires, son allocution du 1er février 1952 aura joué un rôle majeur : « son retentissement […] dans le pays fut plus grand encore que je ne pouvais m’y attendre. La presse fit écho à mon appel. L’opinion publique fut concernée, et des lettres émouvantes commencèrent à affluer au Ministère. » Si la presse se montre unanime pour reconnaître l’importance de l’enjeu et le bien-fondé de la démarche, quelques réserves sont néanmoins émises, comme en témoigne un article paru dans le journal Le Monde le 12 février 1952, lequel souhaite la réussite de la « quête », mais désire aussi « que son succès n’encourage pas l’État à se décharger d’une tâche qui lui incombe sur la générosité du public ».
La naissance du Comité national pour la sauvegarde du château de Versailles
Institué par l’arrêté du 30 janvier 1952, le « Comité national pour la sauvegarde du château de Versailles », placé sous la présidence d’André Cornu, regroupe aussi bien des personnalités politiques, des académiciens, des hauts fonctionnaires, des représentants religieux, des représentants du patronat ou des représentants des syndicats de presse. Ce Comité se fixe alors trois objectifs : mettre en valeur le domaine de Versailles, créer et coordonner la « propagande » en sa faveur, et initier les activités susceptibles de récolter les fonds nécessaires à sa restauration. Dès le départ, il est défini que ces objectifs doivent s’inscrire non seulement dans le court terme, mais aussi dans le long terme, de façon à ce que le château puisse, par la suite, subvenir à ses propres dépenses d’entretien. En vertu de la circulaire du 15 février 1952, des comités départementaux sont créés afin de donner une plus grande efficacité à la campagne nationale pour la sauvegarde du château de Versailles et permettre aux préfets de pouvoir prendre des initiatives pour procurer des fonds à la restauration du domaine. Parallèlement, des mesures financières exceptionnelles sont mises en place pour fournir les fonds requis par le programme de restauration. Sur la base du rapport de 1949 qui évalue le montant des travaux à cinq milliards de francs, il est décidé, à compter de l’année 1953, de répartir les travaux en cinq tranches annuelles d’un milliard.
En attendant le résultat de la souscription, une action est menée pour obtenir de nouvelles ressources budgétaires auprès du gouvernement. Ainsi, le Parlement vote les crédits qu’André Cornu a pu obtenir du gouvernement, c’est-à-dire 765 millions par an sur cinq années. D’autre part, les tarifs d’entrée au château de Versailles, comme aux Grand et Petit Trianon, sont revus sensiblement à la hausse, de même qu’est instauré un droit d’entrée au parc à l’occasion du jeu des Grandes Eaux. Cette dernière mesure se révèle particulièrement efficace, puisqu’elle rapporte à la restauration du château onze millions de francs en 1952, quinze millions en 1953 et vingt millions en 1954. Dans les semaines et mois qui suivent l’appel radiophonique lancé par André Cornu, c’est un véritable élan de générosité qui se dessine en faveur de Versailles, non seulement de la part des grands patrons, mais aussi de la part des gens les plus modestes. Les plus nombreuses souscriptions sont, en effet, de l’ordre de 1 000, 500, 200 francs. Elles parviennent d’employés, de fonctionnaires, d’ouvriers, de retraités, et sont très souvent accompagnées de lettres émouvantes qui montrent l’écho rencontré par la campagne que le Comité national a entreprise. Parmi les mécènes qui se font connaître, se trouvent le gouverneur de la banque de France, qui fait un don de dix millions de francs, ou encore le président du Conseil national du patronat français.
Artistes et mécènes se mobilisent
De nombreux intellectuels favorisent également ce nouvel attrait pour Versailles. Des écrivains comme Roger Nimier, André Maurois, et des peintres comme Henri Matisse et Maurice Utrillo s’engagent en faveur du palais. Des comités de soutien se constituent, des collectes s’organisent à tous les niveaux et l’argent afflue à Versailles, provenant aussi bien de la France que de l’étranger, où le lieu ne laisse pas indifférent. C’est ainsi que le don qui connaîtra le plus grand retentissement survient le 5 janvier 1954 lorsque les frères Rockefeller, souhaitant renouveler le geste de générosité de leur père, John Davison Rockefeller, en faveur du domaine dans les années 1920, adressent un chèque de 100 millions de francs au Comité national. Ayant beaucoup apprécié leurs visites à Versailles, en 1953, les frères Rockefeller expriment le souhait que leur argent soit utilisé pour restaurer le Petit Trianon, le Hameau de la Reine, le Pavillon français et les pièces d’eau. Une proposition acceptée par le Comité national, bien que ces parties du domaine n’étaient pas concernées par le plan quinquennal initial. Si cette donation de la famille Rockefeller permet d’ouvrir ces nouveaux chantiers, les dommages se révèlent être plus importants que prévu. Dès lors, pour mener les travaux à bien, il sera donc nécessaire de faire appel aux crédits du fonds de sauvegarde.
Le coût de ces restaurations, achevées cinq ans plus tard, s’élèvera finalement à 475 millions de francs. Si le Comité national s’est chargé d’en financer près de 80 %, c’est pourtant bien le nom de Rockefeller qui restera associé à la renaissance de cette partie du domaine. En effet, la publicité faite autour d’un tel don et l’image positive qu’en retire la famille Rockefeller peuvent attirer de nouveaux mécènes désireux, eux aussi, d’associer leur nom au prestige de Versailles. Parallèlement à cette gigantesque recherche de fonds, dans le but de rendre au château son éclat, apparaît aussi une volonté de remeubler ce monument unique au monde et de lui restituer tout son éclat, ce qui passe par des investigations en vue de retrouver et de racheter des meubles, lambris, tapisseries, accessoires et œuvres d’art qui furent notamment dispersés lors de la Révolution française et pendant les périodes ultérieures.
Des actions couronnées de succès
La manifestation la plus mémorable mise en place par le Comité national restera, sans nul doute, la création d’un spectacle de son et lumière intitulé À toutes les gloires de la France. Enthousiasmé par un spectacle auquel il a assisté durant l’été 1952 au château de Chambord, André Cornu décide d’en créer un similaire à Versailles. Inauguré en juin 1953, le spectacle reçoit un accueil et une critique plus que favorables. Son succès dépassera même toutes les espérances. En trois ans, ce sont 650 000 spectateurs qui y assistent, dont 300 000 la première année, et le bénéfice au bout de ces trois années, après amortissement, s’élèvera à pas moins de quatre-vingt-cinq millions de francs. La nouveauté de ce type de spectacle stéréophonique et la prouesse qu’il constitue apportent une double contribution à la sauvegarde de Versailles : financière tout d’abord, mais aussi culturelle et politique. Tout en renforçant le rayonnement de la France, le spectacle retrace, en effet, les heures glorieuses de l’histoire du pays à travers le palais de Versailles, ce qui contribue à en exalter la signification et à l’ériger en symbole national et républicain auprès des spectateurs.
L’année 1955 sera, quant à elle, marquée par une grande exposition consacrée à la reine Marie-Antoinette, à la faveur du bicentenaire de sa naissance. Ce sont près de 1 200 objets qui sont présentés dans seize salles, la plupart provenant de collections privées jusqu’alors jamais dévoilées au public. Avec environ 270 000 visiteurs, cette exposition rencontre un grand succès. Dès lors, le musée mesure combien un événement de cette nature peut encourager la fréquentation du site. Cette période voit ainsi émerger les premières expériences destinées à améliorer le confort et la satisfaction intellectuelle des visiteurs.
Versailles, décor de cinéma
Ce sont les projecteurs et caméras de cinéma qui vont ensuite apporter un rayonnement national et international au château de Versailles. Sacha Guitry ouvre le bal en réalisant, durant l’été 1953, son film Si Versailles m’était conté pour lequel il réunit une étincelante distribution comprenant les plus grands acteurs de l’époque. L’autorisation accordée au cinéaste de tourner son film en décors naturels a fait l’objet d’un contrat conclu entre le Secrétariat d’État aux Beaux-arts et la société de production du film. En contrepartie de ce concours matériel estimé à dix millions d’anciens francs, l’article 3 dudit contrat prévoit que : « Jusqu’à complet versement de la somme de dix millions de francs, représentant le concours de l’État, 100 % des recettes seront attribuées à celui-ci ; toutes les recettes ultérieures seront réparties indéfiniment à raison de 20 % à l’État, 80 % à la société de production. » Il est également précisé que les sommes revenant à l’État seront « imputées à une ligne spéciale inscrite au budget général et intitulée : ressources affectées à la restauration et à la conservation du Domaine national de Versailles ». En février 1954, lors de sa sortie en salle, Si Versailles m’était conté se voit plébiscité par le public et reçoit un triomphe en se hissant au premier rang du box-office avec près de sept millions d’entrées. La même année, le film sortira en Italie et au Royaume-Uni et trois ans plus tard aux États-Unis. Conformément à l’accord financier convenu avec l’État en échange de certaines autorisations pour tourner en décors naturels, une partie des bénéfices du film, qui auront donc été plus importants que prévu, sera destinée à la restauration du château de Versailles.
Alors que le Comité national de sauvegarde avait, au moment de la signature du contrat entre le Secrétariat d’État aux Beaux-arts et la société de production du film, tablé sur une somme d’environ quarante millions de francs, ce sont finalement cinquante-six millions de francs qui seront versés pour contribuer à la renaissance de Versailles. Le succès du film dépasse largement les frontières de la France, comme le rapporte un inspecteur général au tourisme qui ne manque pas de signaler que la publicité faite à l’étranger par Si Versailles m’était conté est sensationnelle. Appelé au hasard d’une inspection à visiter les bureaux de tourisme français de Suisse, il a pu constater à Zurich et à Genève quatre fois plus de demandes de renseignements relatives à Versailles depuis que les murs de ces villes sont couverts d’affiches publicitaires. D’autre part, les retombées du succès du film ne se font pas attendre pour Versailles puisque grâce à l’œuvre de Sacha Guitry, le cinéma se prend d’affection pour le château et ce, dès cette année 1954, au cours de laquelle le cinéaste Christian-Jaque y tourne son film Madame du Barry avec l’actrice Martine Carol en vedette. L’année suivante, en 1955, c’est le metteur en scène, Jean Delannoy, qui installe ses caméras à Versailles pour y tourner son film Marie-Antoinette, reine de France, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, avec Michèle Morgan dans le rôle-titre.
Restauration et modernisation
Différentes parties du domaine de Versailles ont été concernées par les travaux de restauration opérés dans le cadre de la sauvegarde. Pour ce qui touche aux toitures, l’effort a porté essentiellement sur la partie nord du château, celle de l’aile Nord a été entièrement refaite, côté parc et côté rue des Réservoirs, ainsi que la toiture de l’Opéra royal. Celles des pavillons Dufour et de l’aile sud des Ministres ont également été refaites, ainsi que l’aile d’Orléans et l’aile de Provence, puis l’aile du Midi côté parc. À ces travaux de toiture du château, s’ajoutent ceux de Trianon, non prévus au départ mais réalisés sous l’impulsion de la donation Rockefeller. Ainsi, les toitures du Grand Trianon, du Petit Trianon, du Pavillon français et du Hameau de la Reine ont été refaites. Pour ce qui concerne les planchers et les voussures, les restaurations se sont essentiellement concentrées sur la galerie des Glaces et les Grands Appartements. Dans le parc, outre la restauration de statues, la réfection de chaussées et les replantations, les travaux ont ciblé les bassins et les canalisations indispensables au jeu des Grandes Eaux, toujours avec l’idée de favoriser les manifestations destinées à récolter des fonds pour la sauvegarde.
Les travaux d’équipement du domaine, tels que les installations électriques, le chauffage, la viabilité, la sécurité, les aménagements scéniques du théâtre Louis XV sont à distinguer du reste des travaux effectués, car il n’était initialement pas prévu de les réaliser avec une ampleur aussi grande. Une fois achevés, ces travaux auront tout de même absorbé 28 % des crédits. De plus, leur réalisation a souvent été liée à la mise en place de manifestations dans le cadre de la sauvegarde des lieux. Par exemple, les installations électriques étaient nécessaires pour le lancement du spectacle de son et lumière. En 1953, seul l’éclairage de la façade pour le spectacle a été mis en place, mais, l’année suivante, un générateur est installé dans le palais pour permettre, au fur et à mesure de l’avancée des travaux, d’électrifier tout le site. Les travaux d’équipement comprennent aussi l’installation du téléphone, lequel assure des liaisons avec tous les points du château, en plus d’offrir une sécurité supplémentaire. Le système de chauffage est également entièrement revu, afin de contribuer à la bonne conservation des collections. Cinq années après le lancement de sa campagne de restauration, Versailles semble avoir retrouvé sa magnificence. La soirée de gala présidée par le président de la République, René Coty, en présence de la reine d’Angleterre, Élisabeth II, et de son mari, le prince Philip, le 9 avril 1957, démontre que le château a changé de visage en moins d’une décennie. Après une visite des Grands Appartements et un déjeuner de plus d’une centaine de couverts organisé dans la galerie des Glaces, le couple royal britannique et le président Coty inaugurent l’Opéra royal, fraîchement restauré. Les invités assistent, pour l’occasion, à une représentation des Indes galantes, l’un des opéras-ballets composés par Jean-Philippe Rameau.
Bilan des sommes récoltées dans le cadre de la campagne de sauvegarde
Lorsque la sauvegarde de Versailles est évoquée, c’est d’abord l’appel à la générosité des Français qui est mis en exergue. Cependant, le rapport que le Comité national pour la restauration du château de Versailles présenté le 1er janvier 1959 va à l’encontre de cette idée reçue. Il ressort de ce rapport que le montant total des sommes récoltées sur six années pleines, de 1953 à 1958, s’élèvent à 5 588 000 000 de francs. Sur cette somme, les crédits budgétaires représentent pas moins de 4 335 000 000 de francs, soit 77,6%, et les fonds de concours, 1 253 000 000 de francs, soit 22,4 %. S’agissant des ressources issues du fonds de concours, elles se répartissent de la façon suivante : les dons en espèces, 509 millions de francs (40,6 %) ; les recettes des musées, taxes photographiques et cinématographiques, 465 millions de francs (37,2 %) ; les redevances et produits divers (concessions, locations, ventes, etc.), 115 millions de francs (9,2 %) ; les bénéfices du spectacle son et lumières, 108 millions de francs (8,6 %) ; les taxes de circulation : 56 millions de francs (4,4 %). À la lecture de ces chiffres, un premier constat s’impose : c’est l’État qui a financé en grande majorité le plan quinquennal de sauvegarde. Or, si la souscription nationale a eu une importance considérable sur le plan médiatique et si elle a réellement permis d’intéresser les Français au sort de Versailles, elle n’a représenté que 9 % environ des ressources totales de la sauvegarde. Il semble donc que cet appel aux Français ait eu avant tout un rôle fédérateur de rassemblement patriotique autour de Versailles. L’appel à la population a également agi comme un levier pour faire pression sur l’État et le forcer, en quelque sorte, à voter des crédits en faveur de Versailles, comme l’évoquera André Cornu lors d’un débat devant les parlementaires en avril 1954 : « Je dois vous préciser que, en ce qui concerne le château de Versailles, il n’a pas été fait appel uniquement à la générosité publique. Cependant, je crois que c’est grâce à cet appel qu’il a été plus facile à la fois au Parlement et au Gouvernement de faire leur devoir. »
La restauration de l’Opéra royal
La restauration de l’Opéra royal a été menée entre 1952 et 1957. Au début des années 50, l’édifice, construit 180 ans plus tôt, se trouve dans un état de délabrement et de dénaturation avancé. Les loges dans la salle n’existent plus, les locaux de scène et ateliers de théâtre ont disparu, un badigeon recouvre les dorures et le plafond a été percé pour l’installation d’une verrière. Celle-ci, fuyant de toutes parts, a provoqué le pourrissement et l’effondrement des charpentes, soutenues, depuis, par d’immenses échafaudages. Les travaux commencent en 1952 en s’appuyant sur les plans de l’architecte Ange-Jacques Gabriel retrouvés aux archives. Les mémoires des commandes passées vers 1760 aux soyeux lyonnais, aux peintres et aux miroitiers, sont également utilisés. Dans un débarras, André Japy aura la surprise de découvrir, soigneusement roulée, la toile qui servit au plafond de l’Opéra, réalisée par le peintre Louis-Jean-Jacques Durameau et intitulée Apollon couronnant les arts. Les restaurateurs dévoilent aussi les scènes de « bergeries » sous les badigeons et des fragments de faux marbre dans les encoignures. De même qu’un échantillon du tissu d’origine, retrouvé dans la fosse du souffleur, permettra de retisser la salle de velours bleu. La précédente restauration de l’Opéra, survenue plus d’un siècle auparavant sous le règne du roi Louis-Philippe Ier, avait, en effet, détruit l’harmonie des couleurs si savamment étudiée, en conduisant à repeindre en rouge la salle. Cette nouvelle restauration, d’une ampleur considérable menée pendant cinq ans, permet donc de renouer avec la décoration initiale de la salle : faux-marbres sérancolin, porphyre, griotte, panneaux d’arabesques et rétablissement des proportions de la loge royale entre autres. Seule la machinerie de scène datant du xviiie siècle sera détruite pour laisser place à l’installation de locaux techniques.
En vue du spectacle de son et lumière intitulé À toutes les gloires de la France et projeté à partir de l’été 1953, de profondes fosses sont creusées destinées à recevoir d’énormes projecteurs placés notamment devant chaque parterre d’eau et en d’autres endroits. Un dispositif mécanique permet de monter les projecteurs le soir et de les redescendre ensuite en rabattant des plaques servant de couvercle. Il ne reste plus rien de ces dispositifs extérieurs. Les progrès techniques ayant considérablement allégés de semblables systèmes d’éclairage quand le besoin s’en fait sentir.
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