Wilanowle « Versailles polonais »
- mikaelamonteiro11
- Mar 30, 2024
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Si le château de Versailles est situé à une vingtaine de kilomètres de Paris, son homologue polonais fait partie de l’agglomération de Varsovie. Ses liens avec la France remontent au mariage d’amour du roi Jean III Sobieski avec la belle Marie-Casimire, l’un des plus célèbres couples franco-polonais dans l’histoire.

Tout commence lorsque, le 23 avril 1677, le village de Milanow devient la propriété du roi de Pologne, le grand Jean III Sobieski, dont l’arrivée opportune sous les murs de Vienne en 1683 sauve l’Europe d’une invasion turque. Peu de temps après, le lieu reçoit un nouveau nom, Villa Nova, qui se transforme en Wilanow en polonais. Aujourd’hui, c’est un district au sud-est de Varsovie.
La première pierre est posée en 1677. Jean III charge l’architecte italien Agostino Locci, maître du baroque, d’y ériger une résidence royale d’été. Le chantier se déroule pendant vingt ans. Les victoires remportées par le monarque lui permettent d’allouer plus de finances que celles initialement prévues pour l’édification du palais. Le résultat final, aux proportions harmonieuses, affiche les caractéristiques d’une résidence nobiliaire polonaise, d’une villa italienne et d’un palais français de style Louis XIV entre cour et jardin, dont Versailles est l’ultime aboutissement. Les décorations architecturales et sculptées de la façade, telles que l’arc de triomphe et les figures de dieux antiques, célèbrent de manière allégorique les succès militaires et politiques du roi, proclament ses prétentions à fonder une dynastie et annoncent l’âge d’or qui devrait advenir sous le règne de la famille Sobieski. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une résidence royale, mais également d’un monument à la gloire de Jean III, héritier spirituel des empereurs romains.
Un couple amoureux
Wilanow abrite les amours de Jean III et de son épouse française, Marie-Casimire-Louise de La Grange d’Arquien, que les Polonais surnomment Marysienka. Fille d’un gentilhomme nivernais, elle accompagne comme dame de compagnie Marie-Louise de Gonzague-Nevers, deux fois reine de Pologne. À seize ans, elle épouse le grand-duc Jan Sobiepan Zamoyski et lui donne quatre enfants, tous morts en bas âge. Devenue veuve en 1665, Marie-Casimire convole la même année en secondes noces avec Jean Sobieski, follement amoureux d’elle. Cette époque marque le début d’une longue période de forte influence de la culture française dans le pays. En 1674, son époux est élu roi de Pologne sous le nom de Jean III, en grande partie grâce à ses relations à la cour. Ils ont une quinzaine d’enfants, dont seuls quatre survivent. Très dévote, Marie-Casimire se prononce contre la tolérance religieuse et se montre partisane d’un pouvoir royal absolu, comme dans la France de Louis XIV. Ses dépenses inconsidérées et son népotisme lui sont systématiquement reprochés.
Souvent séparée de son mari bien-aimé pour des raisons politiques, elle échange avec lui une correspondance passionnée, preuve des sentiments très forts au sein de ce couple atypique pour l’époque. Elle quitte la Pologne après la disparition de Jean III en 1696 et s’installe d’abord à Rome, où elle mène une vie mondaine consacrée aux arts en bénéficiant des largesses du pape Innocent XII. La mort de son protecteur la laissant sans moyens de subsistance, Marie-Casimire revient dans son pays natal et décède en 1716 à Blois. Irrité par les réclamations de celle qui « naquit ma sujette », Louis XIV a accueilli la nouvelle de son arrivée sans enthousiasme et lui a interdit de mettre les pieds à Versailles. Selon la verve caustique du duc de Saint-Simon, « transportée de se voir une couronne sur la tête, elle eut une passion ardente de la venir montrer en son pays, d’où elle était partie si petite particulière » ; cependant, on lui a fait comprendre qu’il n’y avait point de parité entre une reine héréditaire et une reine élective. Elle est inhumée à Cracovie, près de la tombe de Sobieski en la cathédrale du Wawel.
Les transformations du palais
Lors du règne de Jean III, amateur d’art et de littérature éclairé, les appartements richement décorés émerveillent les visiteurs. Le palais est entouré d’un grand jardin avec fontaines. Les poissons nagent dans deux grands étangs, près desquels on bâtit deux petits pavillons ronds en cristal. Il est bon de se reposer à l’ombre des arbres fruitiers. Les orangers et les pieds de vigne sont mis dans des caisses et rangés le long d’un mur sous un toit ; en hiver, les plantes sont recouvertes et le lieu est chauffé au moyen d’un poêle.
Passant entre les mains des héritiers de Jean III après sa mort, le palais est acquis en 1720 par Elzbieta Sieniawska, qui fait achever le projet du roi en érigeant les ailes latérales. En 1730 il tombe dans le giron d’Auguste II le Fort, roi de Saxe et de Pologne, qui y réside jusqu’à sa mort en 1733. En 1778, la propriétaire de Wilanow est la princesse Izabela Lubomirska. Elle engage les meilleurs architectes pour ajouter quelques constructions néoclassiques et rendre au palais son ancien lustre. Son gendre, le comte Stanislaw Kostka Potocki, y crée le premier musée polonais ouvert gratuitement au public en 1805. Le mausolée de ce mécène et homme politique est toujours visible dans le parc.
Au xixe siècle, le schah de Perse, lors de son passage à Varsovie, exprime le désir de visiter Wilanow. Les Potocki n’étant pas alors bien en cour, on le dissuade de donner suite à son projet. « Mais, écrit un voyageur français qui raconte l’anecdote, il ne voulut pas en démordre, et il fallut le conduire dans cette somptueuse demeure. » Le schah, pensif, parcourt les appartements, pleins des souvenirs de Jean III Sobieski, et s’écrie : « Oui, c’est bien là une demeure royale, digne du grand homme qui l’habitait. »
Les derniers propriétaires du domaine sont la famille Branicki, avant que l’État ne le revendique et ne le récupère dans le cadre de la réforme agraire. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Varsovie n’est plus qu’un champ de ruines, mais le palais de Wilanow demeure miraculeusement debout, ayant servi de caserne et d’hôpital aux soldats allemands. Ses trésors, dispersés par les nazis, sont peu à peu restitués. Après d’importants travaux, le palais rouvre aux touristes. Il sert de lieu de tournage, notamment pour le long-métrage Marysia et Napoléon de Leonard Buczkowski en 1966. Depuis 2006, Wilanow est membre de l’Association des résidences royales européennes (1), tout comme le château de Versailles.
Des appartements somptueux
Les appartements d’apparat, qui ont retrouvé leur faste d’antan, gardent le souvenir de leurs illustres occupants. Le Grand Vestibule, la pièce principale qui servait de salle à manger à l’époque de Jean III, relie les parties habitées par le roi et la reine. Quelques décors originaux en stuc ont survécu jusqu’à nos jours, tandis que l’aspect actuel, de style classique, remonte au dernier quart du xviiie siècle, et le plafond au xixe siècle. En revanche, les meubles anglais et français sont plus anciens.
La Salle blanche, la plus fastueuse, a été créée au temps d’Auguste II le Fort. De grands miroirs font face aux fenêtres, créant une illusion d’optique. Les plaques métalliques des deux cheminées gardent les initiales du roi, qui est aussi présent en peinture et en porcelaine. Ce vaste espace était utilisé comme salle de bal.
Lors de ses séjours à Wilanow, Jean III aimait se réfugier dans la bibliothèque (2), où il a rassemblé l’une des plus grandes collections de livres du xviie siècle. Il lui arrivait fréquemment d’y discuter avec les grands esprits de son époque. Les marbres de trois couleurs qui recouvrent le sol sont les plus anciens du palais. Les tondi du plafond, peints par le Français Claude Callot, représentent les allégories des principales sciences à l’honneur au xviie siècle, la philosophie et la théologie, encadrées de portraits en médaillon des grands savants et artistes. Les autres peintures ont été réalisées par des artistes hollandais, français, flamands et allemands. Une collection de porcelaines chinoises et d’armes européennes des xvie et xviie siècles y est aussi exposée.
Dans la chambre du Roi, le plafond peint par Jerzy Siemiginowski figure la déesse Aurore sous les traits de Marie-Casimire, facilement reconnaissable. Jean III voulait l’avoir toujours au-dessus de son lit... Entre le plafond et les murs, des putti bien potelés chevauchent hippocampes et dauphins, tandis que des scènes rurales se déroulent dans les tondi. Les meubles datent du xviiie siècle. Posé sur une commode, copie de celle fabriquée par l’atelier Boulle pour le cardinal Mazarin, le plateau en argent doré a été offert par les bourgeois de Cracovie à Jean III pour sa victoire à Vienne. Autrefois, deux tableaux de Rembrandt se trouvaient dans cette pièce. Emportés à Dresde par Auguste II le Fort, leur emplacement actuel demeure inconnu.
La chambre de la Reine est un véritable bijou du style baroque. Les putti y côtoient les sphinges, au milieu de scènes de la vie campagnarde. Le mobilier comprend une commode originale de l’atelier Boulle datant du début du xviiie siècle et le nécessaire de toilette de Marie-Casimire. Là aussi, la déesse Flore peinte au plafond par Siemiginowski n’est autre que la reine elle-même. Les chambres des souverains sont doublées chacune d’une antichambre, où les courtisans attendaient et échangeaient les nouvelles. Toutes ces pièces sont tendues de tapisseries baroques en velours de Gênes. Le programme iconographique tend à glorifier les vertus et les bienfaits du couple royal à travers le langage des allégories.
Dans la galerie nord, qui fait communiquer l’aile septentrionale du palais avec le bâtiment central, le comte Potocki a aménagé un musée en 1820. Les pièces voisines ont été utilisées pour accrocher sa belle collection de tableaux. Les fresques des galeries nord et sud, commandées par Jean III à l’artiste florentin Michelangelo Palloni, racontent l’histoire d’Amour et de Psyché, allusion à la passion amoureuse entre le roi et la reine. L’un des fleurons du musée est le portrait équestre (3) de Stanislaw Kostka Potocki par Jacques-Louis David, peint en 1781. Une imposante statue équestre de Jean III Sobieski rend hommage au premier maître des lieux. Il est également commémoré dans la chapelle, bâtie à l’initiative d’Aleksandra Potocka entre 1852 et 1861 près de la bibliothèque, à l’emplacement présumé où le roi a rendu son dernier soupir. La statue de la Vierge, œuvre du sculpteur italien Vincenzo Gaiassi, est inspirée par La Madone Sixtine de Raphaël.
Le Cabinet étrusque a été créé après 1850 par Enrico et Leandro Marconi pour abriter une collection d’amphores, unique dans son genre en Pologne. Elle est composée, en plus des achats, des trouvailles personnelles du comte Potocki lors des fouilles à Nola, près de Naples, vers 1785. Son petit-fils August y a ajouté en 1853 quelques vases antiques achetés à la famille Mikorski. Le sol imite une mosaïque, comme dans les villas romaines.
Pour agrandir la surface du musée, August Potocki a transformé un appartement de trois pièces en une pinacothèque. On y découvre des tableaux de plusieurs maîtres européens, ainsi que des vitrines contenant l’argenterie, la porcelaine de Meissen et la faïence hollandaise. L’étage supérieur du palais, temporairement fermé aux touristes, abrite le cabinet d’antiquités du comte Potocki, les appartements de la princesse Lubomirska, les « chambres chinoises » et deux « salles de chasse ». La galerie de portraits offre une véritable plongée dans l’histoire de la Pologne à travers ses grands personnages.
Un parc remarquable
Le parc de Wilanow reflète la passion de Jean III pour le jardinage. Le roi a fait apporter de Paris des livres sur l’art des jardins et s’est inspiré des aménagements de Versailles. Dans ses heures de loisir, il s’occupait personnellement des fleurs et plantait des arbres, au grand étonnement de son entourage.
Le parc actuel s’étend sur 45 hectares et comprend différents espaces de styles variés : le jardin de l’orangerie, le parc paysager anglais, le jardin baroque géométrique à deux niveaux, le jardin anglo-chinois, la roseraie. Les visiteurs entrent par une pergola en pierre qui porte cette citation d’Horace : Ducite solicitae quam iucunda oblivia vitae(Comme il est doux d’oublier les angoisses de la vie). Peu d’éléments originaux subsistent de l’époque de Jean III. Ainsi, dans le jardin baroque, les statues dorées et les vases en marbre ont disparu, remplacés au xxe siècle par des statues en grès rapportées du palais de Brzezinka en Silésie. Leur disposition et leur symbolisme mythologique vantent les vertus du couple formé par Jean III et Marie-Casimire. La roseraie occupe le site où il y avait autrefois le verger de Sobieski ; une fontaine figurant un garçon avec un cygne est entourée de parterres de fleurs. Le jardin d’inspiration anglo-chinoise, créé à la fin du xviiie siècle et transformé par Stanislaw Kostka Potocki, peut être admiré dans son intégralité depuis un mamelon artificiel, le « mont de Bacchus », vestige de l’époque de Jean III. Les pièces d’eau, naturelles ou artificielles, renforcent l’ambiance romantique. Comme d’autres parcs européens, celui de Wilanow offre aux promeneurs un plaisir esthétique combiné à celui de la découverte des « fabriques » disséminées au gré des allées, que ce soit un gazébo chinois, un pont romain ou un monument néoclassique qui commémore la bataille de Raszyn, livrée aux Autrichiens par l’armée du grand-duché de Varsovie lors des guerres napoléoniennes. La variété de ses formes et l’élégance de ses éléments décoratifs font du jardin de Wilanow l’un des plus beaux de Pologne.
2• Actuellement, cette partie du palais est en mauvais état, la dernière restauration remontant à une soixantaine d’années et une fuite d’eau ayant détérioré le plafond en décembre 2020. En prévision des travaux, les peintures ont été enlevées.
3• Transporté en Allemagne en 1939, puis en Union soviétique comme trophée de guerre, ce chef-d’œuvre est revenu en Pologne en 1956.
Témoignage d'un prestigieux visiteur
Petr Andreïévitch Tolstoï, diplomate russe et ancêtre de l’écrivain Léon Tolstoï, a visité Wilanow au début du xviiie siècle : « Le bâtiment est entièrement en pierre ; le palais est grand, tous les murs extérieurs sont recouverts de beaux reliefs en pierre ; il y a de nombreux appartements, d’où l’on accède dans un grand jardin. Au-dessus de ces appartements il y en a plein d’autres, ornés de bois précieux de couleur bien travaillés au milieu des murs. Dans toutes les pièces, les poêles sont remplacés par d’excellentes cheminées en albâtre ou en plâtre, qui sont de magnifiques ouvrages italiens. Les plafonds sont aussi en albâtre ou en plâtre, en relief, et il y a beaucoup de splendides tableaux italiens. Dans deux pièces, les planchers sont en ardoise ou en marbre rose. »
Description du xixe siècle
« C’est par héritage que les Potocka (sic), qui ont du sang princier dans les veines, entrèrent en possession de ce magnifique domaine. L’église du château, qui paraît de date récente, ne doit pas être confondue avec la chapelle. Elle est indépendante et, comme architecture, n’offre rien d’extraordinaire. Le dôme seul est imposant. [...] La façade principale du château se découvre, et l’on est frappé de suite des proportions remarquables de cet édifice, construit en grande partie par les prisonniers turcs que le vainqueur avait ramenés. [...] Sur les deux ailes et le pavillon central plus élevé, des bas-reliefs très décoratifs représentant les principaux combats où Sobieski a figuré. Le vestibule est orné de statues et de tapisseries, et l’on passe de suite dans les appartements du roi, conservés tels, avec leur mobilier. » Après avoir énuméré les meubles et les œuvres d’art présents dans le cabinet et le boudoir de la reine, le voyageur français monte par un petit escalier au premier étage, « où s’étalent à nos yeux de belles collections de Chine et de Japon, laques et porcelaine, rassemblées par les comtes Potocka (sic) ». Il admire la galerie des tableaux et quantité d’autres objets d’art : « une garniture de cheminée de l’Exposition de Londres ; une table ronde en mosaïque romaine ; d’autres tables en mosaïque de Florence ; un vase en porphyre de grandes proportions ; d’autres vases anciens, étrusques ; un bouclier offert par le pape, etc. ». Preuve, s’il en faut, que le musée créé par Stanislaw Kostka Potocki et agrandi par ses descendants était l’un des plus riches d’Europe.
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