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Versailles fantastique

Imaginaire, fantaisie, créativité et surprise animent le parc, les décors, et jusqu’au mobilier de Versailles. Un monde original aux formes étonnantes attire l’œil pour mettre en valeur l’équilibre du site, mais aussi la monarchie qui triomphe des monstres et manifestations hostiles. Plaisant et divertissant, cet univers fantastique est aussi moralisateur.


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L’univers, comme le royaume, sont perpétuellement en recherche d’équilibre. Les forces naturelles ou politiques s’affrontent, se heurtent, et si la providence est bienveillante, finissent dans un état de juste mesure propice à une vie harmonieuse. Cette thématique est profondément ancrée dans la façon de percevoir ce qui entoure les hommes du xviie siècle. Du jardin aux actions humaines, rien n’échappe à cet ordonnancement. Monstres, géants, êtres hybrides et chimériques peuplent la littérature, l’imaginaire, les rêves, les fontaines et les peintures. Ils sont là pour mettre en garde les humains face aux forces primitives de la nature et des éléments, aux effets brutaux des passions, qui stimulent et enthousiasment, mais détruisent si elles ne sont pas maîtrisées. Le mal est partout et l’homme doit le combattre, jusque dans ses mauvais penchants. Au milieu du chaos, il faut entrevoir la mesure, la connaissance et la vérité, qui elles seules triomphent ; « l’honnête homme » saura appréhender ce monde fantastique, s’il se montre instruit et sage tel qu’il est défini dans La Princesse de Clèves en 1678.


La valeur triomphe de tout

Un parcours fantastique se lit tout au long de l’axe nord-sud du jardin de Versailles. Préservé des nombreuses modifications survenues dans le parc au fil du temps, ce parcours fait découvrir au visiteur un monde à l’état brut avec le bassin de Neptune, allégorie de l’océan primordial. Seulement orné sous Louis XIV d’élégants vases rythmant sa partie haute, le bassin ne voit son décor achevé que sous Louis XV. À la création du monde, des divinités effrayantes, titans et géants, peuplent la terre. Les monstres marins sculptés par Bouchardon entre 1736 et 1740 nous font appréhender ces forces surnaturelles. Les compagnons emblématiques de Protée et de l’Océan sont des baleines aux naseaux cracheurs d’écume, un narval et un veau marin feulant. Ils mettent en image les peurs face à l’élément liquide, sombre, et particulièrement angoissant pour les navigateurs des temps anciens, les multiples récits de naufrages provoqués par des monstres à l’allure incroyable n’aidant en rien à l’observation sereine du peuple marin. À proximité, le mal est présent sous la forme d’un dragon, qui fait référence à l’immense serpent qui poursuivait Latone, lui rendant la vie infernale.


La mise en scène du bassin du Dragon (1667-1682) nous donne à voir l’instant où cette saisissante bête agonise sous les flèches décochées par des amours, qui évoquent ici le combat d’Apollon contre le monstre qui harcelait sa mère. Les frères Marsy ont théâtralisé cette séquence en faisant se tordre de douleur le monstre affreux, monstre redoutable, qui dans un dernier râle, lance un hurlement angoissant, matérialisé par le plus haut jet d’eau du parc. Le dieu solaire a vaincu le Python né des entrailles de la terre, désormais la vie peut s’épanouir dans la félicité. Le long de l’allée d’Eau qui monte jusqu’au château, les vasques de marbre sont soutenues par des enfants de bronze qui s’animent progressivement, se livrant à la chasse, aux jeux, à la musique et à la danse. Certains témoignent de ce passage, de cette arrivée de la liberté et d’un nouvel état, encore mi-chèvre, mi-poissons, ou sculptés en termes. Leur buste est vivant mais leurs jambes sont en forme de gaine. Ils sont dans cet état d’entre-deux, mi-homme et mi-colonne, comme d’autres statues du jardin, qui sont à la lisière des allées, à des carrefours. Ils incarnent le souvenir du dieu Terminus, énigmatique divinité des frontières qui ne pouvait se mouvoir. Ces marmousets manifestent un moment entre matière et humanité : ils sont à façonner. La fin de cette épopée est heureuse et nous conduit par l’ascension de la colline jusqu’au palais du Soleil.


Restons toutefois vigilants car certains dragons demeurent invaincus, comme en témoigne la soif de vengeance de Médée. L’enchanteresse abandonnée par Jason, tue les enfants qu’elle avait eus avec le chef des argonautes, elle s’élance sur son char attelé à un dragon, et enflamme la terre. Médée, blessée par l’abandon de son bien-aimé, menace de tout détruire sur son passage. Elle nous met en garde contre les passions non maîtrisées et la folie que l’amour peut susciter. Dans le salon de Vénus, la déesse qui déclenche les tendres passions, étend son influence depuis le centre du plafond peint par René Houasse en 1679. Les guirlandes de fleurs sont les liens de ces affects qui unissent les cœurs, jusques aux grands couples de l’histoire figurés dans les angles du salon. En guise d’avertissement des tourments nés de l’hymen, se trouve au pied de Médée un inoffensif dragon, prêt à grandir, rugir ; les yeux déjà injectés de sang, le furieux animal est en devenir.


Méduse, terrifiante gardienne

Elle est la plus connue des sœurs Gorgones depuis que Persée lui trancha la tête et s’en servit pour pétrifier ses ennemis qui, dès qu’ils apercevaient son regard, se changeaient en statue. Pour impressionner les adversaires, les soldats se plaisaient à orner leur cuirasse ou leur bouclier avec le visage grimaçant et la chevelure garnie se serpents de l’effroyable Méduse. À Versailles, elle est visible de part et d’autre du fronton qui surmonte la chambre du Roi, au cœur de la cour de Marbre. Elle se glisse sur de nombreuses portes et au plus près du Roi-Soleil, sur le bouclier de Louis XIV vêtu à la romaine par Jean Warin dans le salon de Vénus en 1672. Une sculpture, dont les reliefs exécutés avec une grande virtuosité jouent avec la lumière, la fait surgir sur le palier de l’escalier du Petit Trianon. Méduse reste stupéfiante avec son front ridé, la bouche ouverte et la langue apparente, mais la finesse de la sculpture de Guibert vers 1765, privilégie le côté grâcieux et aimable de « l’antique » sur la saisissante impression de ce monstre devenu familier.


Cette tête fantastique se retrouve ainsi à de multiples reprises, dans la Grande Galerie, sur les cuirasses des bustes sculptés ou en peinture, en bouton de porte dans la garde-robe de Louis XVI, sur les plombs sculptés par Pierre Mazeline au bosquet des Dômes 1679-1680, et dans des ornements en bronze. Elle est partout, on joue à se faire peur mais cette Méduse n’effraie plus !


Le Sphynx fascine depuis l’Antiquité

Chez les Assyriens, les Égyptiens et les Grecs, il est si fréquent que l’on finit par s’habituer à ce physique improbable associant corps de lion, visage humain, et dans certains mythes, des ailes d’aigle. Énigmatique s’il en est (depuis la sphinge qui gardait la route de Thèbes et posait une « énigme » devenue célèbre), il associe l’univers bestial et humain, un mélange de force et d’intellect. Protecteur, il garde les lieux sacrés, les champs funéraires, et les espaces précieux, comme le couple de sphinx créés par Houzeau et Lerambert en 1667-1669, qui assurent l’accès au parterre du Midi, chevauchés par des putti indiquant tour à tour le ciel et la terre.


Prisés depuis la Renaissance pour leurs effets décoratifs, les sphinx sont d’élégantes figures traitées dans toutes les matières : en stuc dans la galerie des Glaces, en bois dans les panneaux sculptés en 1784 par Rousseau dans le Cabinet doré de Marie-Antoinette. Fins et graciles, ils sont surpassés en vigueur et en force par les personnages chimériques, comme ceux sculptés en 1824 par Félix Remond pour soutenir l’immense plateau en teck d’une table aujourd’hui visible dans le salon des Seigneurs du Grand Trianon. Associant la terre (les pattes de lion), l’air (les ailes), l’eau (la queue de poisson) et le visage humain, cette improbable créature ne se croise que dans les récits légendaires, les histoires fantastiques, et heureusement pas dans les jardins de Trianon !


Divinités surgissantes et géants anéantis

Imaginé lors de la Grande Commande de statues lancée en 1674 et destinée à orner le parc, un ensemble de groupes de divinités sorties de leur monde céleste ou infernal, incarnent les effets des passions.


Reprenant le jeu des figures serpentiformes mis à l’honneur depuis la Renaissance par Jean de Bologne, mais avec la fougue inspirée par les chefs-d’œuvre baroques du cavalier Bernin, les groupes sculptés représentant des scènes d’enlèvements devaient inspirer stupeur et saisissement aux spectateurs. Finalement installés sur le parterre de l’orangerie, et souvent déplacés, cette série a perdu de sa cohésion mais pas de son expressivité. Si Borée et Orythie ainsi que Cybèle et Saturne sont aujourd’hui au musée du Louvre, dans les salles muséales leur impact s’est atténué, mais Pluton et Proserpine, au cœur du bosquet de la Colonnade, garde toute sa force. Le choc est vif et l’on ressent la puissance des dieux et leur démesure lorsque l’on contemple le ravissement de Proserpine (déesse de la germination) par Pluton (dieu des enfers). François Girardon met en mouvement le rapt de Proserpine, effrayée, hurlante, se débattant mais rien ne peut résister à la pulsion de l’infernal Pluton. Cyannée tente de s’interposer mais gît renversée à terre. Grâce au haut piédestal, orné en frise de l’histoire de cette passion qui déclencha l’alternance des saisons, nous nous retrouvons dans la même position que l’infortunée compagne de Proserpine, incapables d’agir, écrasés par la monumentalité du dieu, du marbre, de la scène violente, de l’instant fantastique à tout jamais pétrifié qui se joue devant nous.


Encelade, lui aussi dissimulé dans un bosquet, témoigne de ces événements surnaturels qu’il nous est permis de revivre. Sculpté par Gaspar Marsy et installé en 1676 au cœur d’un bassin entouré d’une fine galerie de treillage, ce géant, fils de Gaïa, déesse de la Terre, et d’Ouranos, personnification du Ciel étoilé, voulut renverser les dieux de l’Olympe. Minerve l’en empêcha en lui jetant un immense bloc de pierre, Jupiter le foudroya, et Encelade périt sous les roches qui formèrent la Sicile. De sa bouche rugissante s’exhale aujourd’hui encore, vapeurs et lave, c’est l’origine mythique de l’Etna. L’action irréelle se joue toujours devant le promeneur du parc. Au détour d’une allée paisible, un moment formidablement violent se répète éternellement. L’impact est toujours aussi vif, et ce déploiement de plomb et de grès nous invite à conserver les équilibres établis, la place de chacun dans l’univers et dans sa sphère d’action. En un mot à respecter les puissants et ne point chercher à faire vaciller l’ordre qui régit notre monde.


L’imaginaire médiéval au temps du Roi-Soleil

Les voyageurs de l’Antiquité consignèrent leur rencontre avec un animal monocéros en Perse et en Inde. Entre cheval et chèvre, avec une corne de narval sur le front, la licorne voyage dans les imaginaires, se retrouve dans de célèbres tentures, et aujourd’hui l’une d’elles est dans le grand appartement du Roi. Farouche, la licorne ne peut être approchée que par des vierges, étant elle-même un symbole de pureté, sa corne a la faculté de guérir des poisons et des maladies. Paré de cette vertueuse symbolique, cet animal est associé à la tempérance par Simon Vouet lorsqu’il peint, en 1637-1638 pour le plafond de la chambre d’Anne d’Autriche au château de Saint-Germain-en-Laye, des caissons octogonaux qui illustrent également la Justice, la Force, la Prudence, vertus de reine. Louis-Philippe place ces tableaux au-dessus des portes du salon de Mars. La Tempérance fait partie de cette série, incarnée par un personnage féminin tenant un mors qui permet de retenir un cheval. Un angelot s’envole avec des brides, d’autres versent de l’eau dans un récipient qui contient probablement du vin pour en atténuer les effets, nous avons là les symboles de cette vertu. En complément de cette grande qualité morale, la Chasteté ou la Virginité, est présente sous la forme d’une belle licorne blanche, sauvage, fougueuse, le sabot vaillant, la caractéristique barbiche de bouc est frémissante et l’œil perçant. L’animal a traversé les époques pour se réfugier chez Louis XIV mais au xixe siècle… après-tout, ne sommes-nous pas dans la Fable ?


Plaisir des ornements

Ce monde fascinant se glisse dans les décors en pur plaisir de l’ornement. Afin d’animer le mobilier, les ornemanistes vont dessiner des êtres singuliers dont les corps se finissent en feuillages, ils se métamorphosent aux angles des bureaux pour voir leurs pieds réapparaître sous forme de sabots de boucs ou en pates de lions. André-Charles Boulle découpe ses plaques de cuivre, laiton, écaille de tortue ou corne teintée, laissant libre cours à sa féconde imagination. Ses meubles recèlent d’étonnants personnages qui semblent incarner des génies espiègles, des masques de forces surnaturelles grimaçants et irrévérencieux à souhait. La truculence entre au service de l’ornement, et les morceaux de bravoure se concentrent aux angles de ses bureaux, tables et commodes. Les bronzes dorés protègent les plaquages tout en devenant des pièces sculptées exceptionnelles. Têtes aux barbes abondantes et tortueuses, visages surmontés de grands panaches, on s’attendrait à voir en dessous tout un corps de caryatide, mais ces apparitions sont éphémères, ces atlantes se muent en fine ligne sinueuse et s’évanouissent dans le bois sombre du meuble. Elles sont particulièrement impressionnantes dans les angles des premières commodes inventées par Boulle pour la chambre de Louis XIV au Grand Trianon en 1708. Les élégants visages féminins, déroutants et séduisants, sont encadrés par une paire d’ailes au plumage détaillé, la chevelure ondoyante est tressée, surmontée d’une coiffe haute, parée d’un collier tombant sur un buste qui s’évanouit dans une exquise volute de bronze doré. Ce corps immatériel se finit par des chaussons en pattes de lions, assurant esthétiquement un solide soutient à ces pieds fictifs, le poids reposant sur des toupies à vis.


Cette capacité à créer et innover, nous émerveille. Les artistes ont su puiser dans les légendes, les récits mythologiques et dans leur imaginaire, pour qu’à chaque instant notre regard soit captivé par ce qui se révèle être un Versailles fantastique !


Les serpents sifflent sur nos têtes

Symbole de prudence, les serpents ne nous laissent pas en repos et se montrent souvent terribles. Il suffit de contempler le groupe sculpté de Laocoon placé en 1701 près de Trianon-sous-Bois. Tuby, Rousselet et Vigier, se sont unis pour tailler le marbre reproduisant le célèbre groupe antique découvert à Rome en 1506, placé originellement dans la Domus aurea de Néron. Lors de la guerre de Troie, ce prêtre avait tenté de dissuader ses concitoyens de faire entrer le cheval abandonné par ruse devant les portes de la ville. L’Énéide nous instruit sur son sort malheureux : Athéna le réduit au silence en envoyant des serpents l’étouffer, lui et ses deux fils. C’est une mort atroce à laquelle nous assistons en direct.

 
 
 

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