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Versailles et moi Xavier Mauduit. « Versailles nous fait voyager dans le temps »

Chroniqueur et animateur, Xavier Mauduit est avant tout un historien passionné des archives et des lieux. Avant de participer à 28 Minutes sur Arte ou de présenter Le Cours de l’Histoire sur France Culture, il a soutenu une thèse sur la Maison de l’empereur Napoléon III. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Flamboyant Second Empire ! (avec Corinne Ergasse, Albin Michel).


Propos recueillis par David Chanteranne, rédacteur en chef


Pourriez-vous nous parler de votre premier souvenir de Versailles ?


Xavier Mauduit : Comme pour beaucoup d’entre nous j’imagine, mon premier souvenir de Versailles est une visite scolaire, en primaire. Sans même connaître les détails de l’histoire de France, la splendeur du palais − et donc la puissance du roi − a fasciné l’enfant que j’étais. Quand j’y pense aujourd’hui, je me dis qu’à quelques siècles d’écart, j’ai été touché par le faste, tel que l’avait imaginé Louis XIV pour éblouir ses visiteurs. Par la profusion d’œuvres d’art, la richesse du mobilier ou les dorures, la réussite est totale, intemporelle et universelle. Pourtant, mon premier souvenir de Versailles date de mon adolescence, avec une visite des jardins à la découverte des statues, des bosquets, des parterres de fleurs. Un parcours très ludique dans ce qui me semblait être un labyrinthe, mais qui n’en était pas un, car tout y est savamment ordonné. Joyeuse visite. Là encore, c’était éblouissant, mais mon premier souvenir de Versailles est postérieur quand, jeune homme, j’ai été capitaine d’une barque louée sur le Grand Canal. C’était une aventure sportive et esthétique, avec cette incroyable perspective sur le château, qui s’éloigne puis qui se rapproche. J’en conserve encore quelques courbatures. J’ai d’autres souvenirs marquants de Versailles, car chaque visite est l’occasion d’une nouvelle rencontre. Les années passent et, si nous ne changeons pas vraiment, nous ne sommes plus tout à fait les mêmes. Il en va de ainsi à chaque visite de Versailles : il y a toujours une découverte à faire !


Si je vous demande votre meilleur souvenir de Versailles, vous allez me dire qu’il y en a autant que de visites !


X.M. : Je serais tenté de le dire ! Pourtant, je conserve le souvenir d’une visite très particulière, récemment. En raison de la crise sanitaire, les monuments et les musées avaient été fermés et, après le confinement, leur réouverture a été l’occasion d’une visite à Versailles. Il n’y avait personne sur l’imposante esplanade devant le château, l’image était incroyable. Pas d’attente aux caisses, des salles désertes, avec quelques visiteurs qui, comme moi, semblaient fascinés et perdus. J’ai discuté avec un surveillant qui m’a dit n’avoir jamais pensé vivre une telle situation et qui a exprimé son inquiétude. Puis je suis arrivé dans la galerie des Glaces où j’étais… seul ! Vous imaginez l’émotion dans cet endroit mythique, fantasmé, éblouissant. Habituellement, lors de nos visites dans ces lieux historiques qui semblent figés dans le passé, nous sommes rappelés à la réalité de notre siècle quand surgit un autre visiteur équipé d’un téléphone portable, d’une casquette, d’un jean. Dans le château déserté, cela a été un moment hors du temps, avec l’impression d’être de retour au xviie siècle, l’étrange sentiment d’être privilégié. Pourtant, il y avait une forme de déception dans cette visite esseulée, un peu de tristesse : Versailles nécessite de la vie et son histoire doit être incarnée.


Votre thèse d’histoire portait sur la Maison de l’empereur. En qualité de spécialiste du Second Empire, quelle importance accordez-vous aux palais dans l’exercice du pouvoir ?


X.M. : Sous le Second Empire, le château de Versailles et les Trianon se trouvaient dans les attributions d’une institution à laquelle j’ai consacré mon doctorat, la Maison de l’empereur. Elle était chargée de l’entretien et de la surveillance des palais, mais aussi de l’organisation de la vie du souverain au quotidien, donc de la cour. La Maison du souverain se définit par ses attributions et par le personnel qui la compose, assimilable à des fonctionnaires sous le Second Empire. La cour, elle, est plus difficile à définir quand il s’agit d’identifier ceux et celles qui en font partie : qui est courtisan ? Un membre de la famille, un proche, un ministre ? Au moins, avec la Maison de l’empereur, il est aisé de savoir qui est concerné : qu’il s’agisse des services d’honneur ou de la domesticité, le personnel reçoit un traitement ! La cour de Napoléon III est la dernière qu’ait connue la France, du moins une cour officielle. Le Second Empire a renoué avec l’itinérante curiale, qui fut la pratique la plus courante dans l’histoire de France. La sédentarisation de la cour à Versailles sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI est une exception. Sous le Second Empire, le couple souverain et son entourage évoluent entre les palais des Tuileries, de Saint-Cloud, de Fontainebleau, de Compiègne, ou encore dans les résidences de Biarritz et de Vichy. D’autres palais entrent dans les attributions de la liste civile, sans que les souverains ne les occupent : le Louvre, l’Élysée, Meudon, Rambouillet, Pau, Strasbourg, Marseille, et évidemment Versailles, cadre de cérémonies grandioses. Ce fut le cas en août 1864, avec une fête organisée en l’honneur de Don François d’Assise, roi d’Espagne, époux de la reine Isabelle II : spectacle à l’opéra, visite dans le parc, Grandes Eaux illuminées grâce à l’électricité. La cérémonie participe à la « fête impériale », selon l’expression forgée a posteriori pour qualifier le Second Empire. Napoléon III et l’impératrice Eugénie ont souhaité évoluer dans des décors somptueux, ils ont fait le choix du faste afin d’exposer combien le régime est confiant en sa légitimité et en sa pérennité : la fête envoie le message que le pays va bien, que la France est prospère et en paix. En cela, le Second Empire s’inscrit dans une longue tradition française, dans laquelle nous croisons Louis XIV et Napoléon : éblouir par le faste. Le Second Empire y ajoute une légèreté construite de manière très intelligente, un jeu d’images où les souverains apparaissent parfois modestes, habillés en bourgeois, et parfois magnifiés, en uniforme et crinolines, dans les palais impériaux. Ce que je montre dans ma thèse est qu’après le Second Empire, qui s’effondre en 1870 lors de la guerre franco-prussienne, la République reprend en partie ce faste impérial pour que le président évolue dans un cadre qui impressionne : aux origines des ors de la République, il y a le faste impérial.


Vous animez une émission quotidienne sur France Culture, Le Cours de l’Histoire, et tenez une chronique dans 28 Minutes sur Arte. L’Ancien Régime en général et Versailles en particulier y occupent-ils une place importante ?


X.M. : Chaque jour sur France Culture, dans Le Cours de l’histoire, c’est un immense plaisir de laisser la parole à des spécialistes qui présentent le fruit de leur recherche pendant une heure d’émission. Le plaisir est tout aussi grand pour mes chroniques dans 28 Minutes sur Arte, quand je raconte une histoire en deux minutes sur Arte. Ce sont deux exercices très différents, sans doute complémentaires. Dans tous les cas, c’est pour moi un régal d’apprendre tous les jours ! L’Ancien Régime et Versailles sont incontournables, tant cette période et ce palais sont liés à notre histoire. Dans les brèves histoires que je raconte à la télévision, si je parle de l’antique Mésopotamie ou du royaume d’Assinie, dans l’actuelle Côte d’Ivoire, je consacre au moins un tiers de ma présentation au contexte que je dois préciser, parce qu’il est peu connu ou pour raviver des souvenirs aux spectateurs. Mais quand il est question de Versailles, je n’ai pas besoin de se développer longuement : dire « Louis XIV » ou « Versailles » suffit à évoquer des images, des souvenirs, des repères. Ils font partie de notre histoire commune. D’ailleurs, je vous disais que l’Ancien Régime et Versailles sont incontournables : même quand il s’agit du royaume d’Assinie, nous pouvons croiser le Roi-Soleil. En 1661 à Paris, Bossuet, évêque de Meaux, baptise un jeune Noir. Il s’appelle Aniaba et il est prince d’Assinie. Le parrain est Louis XIV qui a cette phrase remarquable : « Il n’y a plus de différence entre vous et moi sauf que vous êtes noir et que je suis blanc. » Incontournable, je vous dis ! Cette période nous offre des tas d’histoires à raconter, surprenantes ou édifiantes. Je suis constamment surpris par la vivacité d’esprit, par la pertinence d’analyse, et même par l’humour de nos ancêtres de l’Ancien Régime.


Vous connaissez très bien Versailles, mais êtes-vous encore émerveillé et vous laissez-vous encore surprendre par le lieu ?


X.M. : L’émerveillement est constant à Versailles mais, plus que des lieux précis, ce sont les détails qui me surprennent toujours, ces éléments du décor devant lequel nous passons souvent sans y porter attention. Ils participent de l’ensemble fastueux : sans eux, il manque quelque chose ; pris individuellement, ils sont une merveille. Je me souviens d’une poignée de fenêtres devant laquelle je suis resté en extase. Je ne sais plus dans quelle salle, sinon qu’elle donnait sur le jardin. Cette fine menuiserie de métal, ciselée, élégante, est un véritable bijou. Je suis sensible au savoir-faire, à la maîtrise technique et à la qualité esthétique, que nécessite un tel ouvrage. La majesté se niche parfois dans les détails.


Quels sont vos lieux préférés à Versailles ?

X.M. : J’ai un faible pour la galerie des Batailles, dans l’aile sud du château, vestige du musée de l’histoire de France voulu par Louis-Philippe, sous la monarchie de Juillet. C’est une narration guerrière de notre passé qui donne l’impression de se trouver dans un manuel scolaire ou dans un livre d’histoire, tant ces tableaux du xixe siècle ont été utilisés comme illustration. Au-delà de l’émotion esthétique, c’est la curiosité de croiser des combats dont, pour certains, je serais en peine d’en raconter le déroulement, les tenants et les aboutissants : la bataille de Taillebourg, celles de Mons-en-Pévèle ou de Cocherel. À l’inverse, quand il s’agit de Wagram, d’Iéna, ou de Bouvines, c’est l’impression d’être au plus près d’une relecture artistique des combats. Dans cette galerie, la présence de bustes d’illustres personnages de notre histoire renforce l’incarnation des figures du passé. C’est l’histoire de France, telle qu’elle était imaginée au xixe siècle.


Que représente Versailles pour vous : est-il bien ancré dans son époque ?

X.M. : Versailles est souvent réduit au règne de Louis XIV, ce qui est très compréhensible, mais le château est en lien avec toute l’histoire de France, dans ce qu’elle a de mondial : réception des ambassadeurs de Siam, grandes fêtes impériales pour des souverains étrangers, et bien entendu signature du traité de Versailles en 1919, sans oublier la visite du couple Kennedy, reçu par le général de Gaulle à Versailles en 1961. Le long fil historique s’écrit au-delà des règnes et des régimes politiques pour un château qui, après avoir été royal ou impérial, est aujourd’hui national : c’est notre patrimoine.


On vous donnerait une baguette magique, que feriez-vous pour Versailles ?

X.M. : Je me demande si Versailles n’est pas en soi une baguette magique, capable de nous faire voyager dans le temps. Dans notre monde rempli d’images, il est aisé de trouver sur Internet des photographies de Versailles, parfois de très grande qualité. Il est aussi possible de visiter Versailles à distance, de manière virtuelle. Pourtant, rien ne remplace l’émotion de se trouver physiquement dans le château. C’est la seule manière de saisir les volumes, l’écho dans les salles, le craquement d’une latte de parquet, le parfum dans les jardins, et de voir évoluer le décor selon les changements de lumière, quand passe un gros nuage ou quand revient le soleil. Avec la baguette magique que vous m’offrez, j’aimerais me glisser dans les coulisses de Versailles, dans ces lieux qui ne se visitent pas : les couloirs de service, les caves, les entrepôts, les cuisines. L’idéal serait de m’y rendre au mois d’août 1855 et d’assister, depuis les cuisines, à la préparation de la fête organisée par Napoléon III à l’occasion de la visite de la reine Victoria en France, pour l’Exposition universelle. Quelle aventure ce doit être que d’évoluer dans les coulisses du château et d’observer l’effervescence au moment des livraisons, de la préparation du repas, du service avec le personnel qui s’active − celui que j’ai étudié pour ma thèse : le commandant militaire du palais qui donne des ordres aux surveillants, le régisseur qui dirige les lingères, les portiers et les hommes de service, le personnel des cuisines, venu des Tuileries, et les chambellans, les maréchaux des logis, les écuyers, les aides de camp, les dames du palais, pour offrir la plus belle des fêtes. C’est en cela que Versailles est peut-être une baguette magique, par sa capacité à nous faire rêver.


 
 
 

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