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Versailles au temps de la Régence. (1715-1722)

Il y a un peu plus de trois cents ans, le 15 juin 1722, le jeune roi Louis XV s’installe avec sa cour au château de Versailles où il a vu le jour douze années auparavant. Déserté depuis la mort de Louis XIV survenue sept ans plus tôt, le château sort de sa torpeur pour redevenir le siège du pouvoir royal. Les travaux ayant été suspendus durant cette période d’abandon, le jeune monarque, dès son retour, ordonne d’effectuer les réparations nécessaires et de réaménager les appartements pour redonner à Versailles tout son éclat.


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Deux jours après la mort de Louis XIV, les 3 et 4 septembre 1715, le jeune Louis XV, âgé de cinq ans et demi, accomplit ses premiers actes de roi, d’abord en se rendant à la messe de requiem donnée pour son arrière-grand-père à la chapelle de Versailles, puis ensuite en recevant l’assemblée du clergé venue célébrer son propre avènement. À ce même moment, le neveu du défunt roi, Philippe d’Orléans, ayant obtenu du Parlement de Paris de « casser » le testament de Louis XIV qui ne lui accordait qu’une charge purement honorifique de « président du conseil de régence », se voit confier la garde et la tutelle du jeune Louis XV. Devenu régent, Philippe d’Orléans prend pour première mesure de ramener Louis XV et la cour à Paris. Si c’est aller contre le souhait du Roi-Soleil, cette décision s’inscrit dans une volonté de rapprocher le roi du peuple. Le souvenir de la Fronde, au milieu du xviie siècle, est encore vif, et le Régent souhaite ainsi établir un lien fort entre le jeune Louis XV et les Parisiens.


Le monarque et la cour quittent donc Versailles le 9 septembre 1715. La nouvelle étant déjà connue, de nombreux Versaillais se sont rassemblés en bas de la place d’Armes. En passant, Louis XV leur jette quelques pièces d’argent. C’est au château de Vincennes que la cour s’installe dans un premier temps. Il en sera ainsi jusqu’au mois de décembre, le temps d’aménager le palais des Tuileries où Louis XV résidera ensuite. Le Régent, pour sa part, gouverne le royaume depuis le Palais-Royal, tandis que les courtisans se dispersent dans les hôtels de la capitale. Trente-trois ans après avoir été érigé en siège du gouvernement, le château de Versailles se retrouve ainsi déserté. Une période d’abandon qui s’étendra sur presque sept années et qui ne sera pas sans conséquence pour la ville de Versailles.


Une ville dépeuplée et un château désert

Le roi et sa cour étant partis, ce sont bientôt les officiers de la Maison du roi, les titulaires des charges et certains commerçants qui leur emboîtent le pas. En quelques semaines, la ville se vide et perd près de la moitié de sa population. Versailles ne dénombre dès lors qu’à peine plus d’une quinzaine de milliers d’habitants approximativement, contre plus de vingt-cinq mille auparavant. Les aubergistes se retrouvent dépourvus de clientèle et les locataires exigent la résiliation de leurs baux. Conscient de la situation, le Régent décide que les Versaillais « qui y demeurent par d’anciens établissements ou par les dépenses considérables qu’ils ont faites pour la construction de leur maison » seront définitivement exonérés de l’impôt foncier. S’agissant des locataires, une déclaration royale datée du 23 juin 1716 admet la résiliation de plein droit de toutes les locations et sous-locations, considérant que les locataires ne résidaient à Versailles que pour exercer leurs charges ou leurs emplois et qu’ils étaient tenus de suivre la cour. Au brutal effondrement des cours des loyers, s’ajoutent celui des prix de vente des maisons, à telle enseigne que de nombreux propriétaires préfèrent conserver leur immeuble que de le vendre à perte, tandis que, par ailleurs, d’astucieux spéculateurs profitent de la situation. « Versailles, privé de la présence du roi, le fut pendant le même temps de toute l’administration, parce que dans ce lieu il n’y a que la cour qui puisse imprimer de la vie et du mouvement », écrit un procureur général.


Le château, pour sa part, n’est pas entièrement déserté puisque certains services y demeurent. Ainsi, la surintendance des Bâtiments, qui en assurait l’entretien, reste à Versailles, de même que subsistent les Écuries et l’École des pages. De plus, Louis Blouin, l’intendant du lieu, obtient que l’on fasse jouer les Grandes Eaux tous les quinze jours afin de maintenir quelques animations. C’est durant cette période où Versailles n’était plus la capitale du royaume que son statut juridique va connaître un changement significatif.


Depuis le règne du roi Louis XIII, le domaine a conservé un caractère privé, qui Louis XIV a maintenu, malgré l’énorme extension de ses possessions autour de Versailles. Ainsi, l’édit de décembre 1693 a réaffirmé la volonté royale d’en jouir séparément du domaine de la couronne. Moins d’an an après la mort du Roi-Soleil, en vertu de l’édit de mai 1716, il est décidé la réunion du domaine de Versailles au domaine de la Couronne et son intégration à l’administration ordinaire. Dès lors, recettes et dépenses sont confiées aux receveurs généraux des domaines de la généralité de Paris, tandis que les bois sont attribués à la maîtrise de Saint-Germain. Conséquence de ce changement juridique, l’édit royal de mai 1716 octroie à l’intendant le titre de « capitaine et gouverneur de la ville et des châteaux de Versailles, Marly et dépendances et capitaine des chasses de nos parcs dépendant desdits lieux ». Louis Blouin se retrouve sur le même plan que les gouverneurs des autres maisons royales. Le 1er septembre 1719, il reçoit ses nouvelles lettres de commission. Pour autant, l’avenir de Versailles demeure incertain. Philippe d’Orléans n’ayant jamais apprécié ce palais en fait largement diminuer les dotations qui lui étaient affectées.


Sept années durant, le château se retrouve assez mal entretenu, en dehors de quelques réparations rendues nécessaires avec le temps. En revanche, les fenêtres seront ouvertes et nettoyées, l’occasion d’apporter des bouffées d’air frais dans différentes pièces du château restées jusqu’alors closes. Cependant, persiste toujours la question du devenir de cette immense palais désert. Proche du Régent, le duc de Noailles aurait été jusqu’à lui suggérer de détruire purement et simplement le château et d’en transporter les richesses à Saint-Germain-en-Laye. Au mémorialiste Saint-Simon à qui il confia son projet, le duc de Noailles se serait vu répondre : « Monsieur, quand vous aurez les fées à votre disposition avec leurs baguettes, je serai de votre avis pour ceci. » L’idée ne va pas plus loin. Devenu gouverneur du lieu, Louis Blouin, décide d’accorder des logements gratuits dans les ailes du château, au Grand Commun et aux écuries, en sorte que ces avantages attirent à Versailles bon nombre de bourgeois de Paris. « La ville se peupla d’une grande quantité d’honnêtes gens, curieux d’y jouir en paix de la beauté des promenades et de la bonté de l’air », écrit Pierre Narbonne dans son ouvrage Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV de l’année 1701 à l’année 1744. Mais, c’est très loin d’être suffisant pour redynamiser la ville.


Le séjour du tsar de Russie

Un événement va néanmoins faire sortir Versailles de son sommeil. D’avril à juin 1717, le tsar de Russie, Pierre le Grand, effectue une visite triomphale en France. Voilà déjà bien longtemps que le souverain souhaite visiter ce pays. Avant de monter sur le trône, le tsar a été chaleureusement accueilli par toutes les cours d’Europe, à l’exception du roi Louis XIV. Les ennemis de la Russie, la Suède et la Turquie, sont alors les alliés de la France. Le Roi-Soleil a dissuadé Pierre le Grand de se rendre à Versailles. Philippe d’Orléans, désireux d’établir une nouvelle alliance pour faire contrepoids à la puissance des Habsbourg, choisit, au contraire, d’accueillir en France le tsar en grande pompe.


Comme pour prendre sa revanche sur le roi Louis XIV, qui a refusé de le recevoir, Pierre le Grand demande à visiter et à séjourner à Versailles. Le Régent s’empresse de satisfaire son vœu. Hâtivement, les appartements de la dauphine sont aménagés pour le recevoir. Le tsar et sa suite d’une soixantaine de personnes arrivent à Versailles le 24 mai 1717. Le duc d’Antin, surintendant des Bâtiments, se charge de l’accueillir et de lui faire les honneurs du lieu. Le souverain dormira dans un des petits cabinets. Le lendemain, de bonne heure, Pierre le Grand parcourt les jardins, se divertit du spectacle qu’offrent les fontaines, effectue une promenade en gondole sur le Grand Canal et visite la Ménagerie et le Grand Trianon. Très régulièrement, le tsar réalise des croquis, prend des notes et fait mesurer les jardins qui le fascinent. Dans le palais de Peterhof qu’il fait construire non loin de Saint-Pétersbourg, il ambitionne de surpasser les fontaines versaillaises en contrôlant l’irrigation du parc par un aqueduc, plus efficace que la machine hydraulique de Marly. Pierre le Grand est frappé par l’ampleur du domaine, où le regard porte à l’infini grâce aux perspectives savamment travaillées. Si le Grand Trianon le séduit tout particulièrement par ses proportions réduites et sa conception moderne, il est loin d’en être de même du palais dont il juge l’architecture disproportionnée, au point de déclarer que le château de Versailles lui semble être « un pigeon avec les ailes d’un aigle ». Après avoir séjourné trois nuits à Versailles, le tsar et sa suite prendront la direction du château de Fontainebleau. Ils reviendront le 3 juin pour prendre leurs quartiers au Grand Trianon où ils demeureront jusqu’au 12 juin.


Durant ces neuf jours, le souverain visite les alentours. Avant de quitter définitivement le domaine, il effectue une visite plus approfondie du palais. Outre les divers appartements, il découvre notamment le cabinet des curiosités où lui sont présentés les médailles, les coquillages, les livres rares ou les estampes des anciens ballets du roi Louis XIV. Pierre le Grand se rend ensuite aux Grande et Petite Écuries où plusieurs écuyers montent les chevaux en sa présence. En fin de journée, il dînera au château avant de rejoindre Paris. Au terme de ce séjour du tsar de Russie, Versailles retrouve sa léthargie.


Le retour de Louis XV

Le 22 février 1722, cinq cents gardes du roi, composant quatre escadrons, arrivent à Versailles où ils sont hébergés dans les communs, chez les habitants ou dans les cabarets. Leurs chevaux sont alors logés dans les Grande et Petite Écuries du roi. Leur mission consiste, le 2 mars suivant, à escorter jusqu’aux portes de Paris le convoi de l’infante Marie-Anne-Victoire, fille du roi Philippe V d’Espagne, qui vient d’être fiancée au jeune roi Louis XV. De retour à Versailles le soir, les cinq cents gardes y restent jusqu’au 4 mars avant d’en partirent pour regagner leurs quartiers. Cette animation, le temps d’une poignée de journées, va bientôt précéder une rumeur qui ne peut indifférer les Versaillais. Si le peuple de Paris s’est pris d’affection pour le jeune roi Louis XV, le Régent, pour sa part, doit affronter les critiques des parlementaires qui commenceent à agiter en sous-main les Parisiens. Face à l’hostilité de la foule qui parfois profère des injures à son encontre et lance des projectiles sur son carrosse, Philippe d’Orléans, sans l’annoncer officiellement, envisage de faire revenir la cour au château de Versailles. Le Régent mentionne alors que cette volonté émanerait du jeune souverain, mais probablement ce dernier n’a-t-il pas été consulté.


C’est dans le courant du mois d’avril 1722 que les habitants de Versailles apprennent que le roi et sa cour pourraient revenir prochainement s’y réinstaller. Dans son ouvrage Chronique de la régence et du règne de Louis XV (1718-1763), le mémorialiste Edmond Jean François Barbier écrit : « Les ordres sont donnés pour que le roi aille, le 17 de ce mois[avril], à Versailles, pour y demeurer, dit-on, jusqu’à la Toussaint. Tous les ministres et tous les bureaux suivent comme du temps de Louis XIV. » Quelques jours plus tard, l’auteur précise : « Le voyage est différé au mois de mai, parce que Versailles est en mauvais état et qu’il faut le réparer, ce qui coûtera même beaucoup. »


Tandis qu’à Versailles les propriétaires et les aubergistes s’agitent, la surintendance des Bâtiments doit, en effet, accomplir le tour de force de tout remettre en état et d’aménager le palais en l’espace de quelques semaines. Au même titre que l’installation définitive de Louis XIV à Versailles en 1682, le retour de Louis XV dans la capitale de son aïeul est signalé dans les gazettes et les mémoires de l’époque comme un événement considérable. Alors que Versailles est, en 1722, « comme une ville abandonnée où le feu aurait passé pendant dix-huit mois » tel que l’écrira Pierre Narbonne, d’un seul coup, les maisons désertées se repeuplent, les boutiques et les hôtelleries fermées rouvrent. Dans son Journal et mémoires sur la Régence et le règne de Louis XV, le juriste et avocat Mathieu Marais écrit, en date du mois de juin 1722 : « On est venu de tous les côtés pour dire adieu au roi qui doit partir demain pour Versailles. Le Parlement, toutes les cours et la ville y ont été... » et d’ajouter, le lendemain : « Le roi est parti sur les trois heures après-midi pour Versailles. Tout Paris a été […] le voir passer. L’un disait : il reviendra, l’autre : il ne reviendra pas. »


Le grand jour survient donc ce 15 juin 1722. Déjà, à Versailles, tandis que le carrosse royal se dirige vers le château, une foule considérable l’attend le long de l’avenue de Paris et sur la place. Sept ans auparavant, les Versaillais ont vu partir un petit garçon de cinq ans ; en ce jour de printemps, c’est un adolescent de douze ans qui revient s’établir et prendre possession de ce somptueux palais. Arrivé à cinq heures de l’après-midi, Louis XV, dès sa descente de carrosse, se rend dans la chapelle royale pour y faire sa prière. Comme le narre le mémorialiste Saint-Simon, le jeune roi, malgré la chaleur accablante, se lance aussitôt après dans une course folle à travers le parc, visitant chacun des bosquets. Louis XV a conservé le souvenir de ces merveilleux jardins, de ces eaux ruisselantes, de ces bassins autour desquels il a joué pendant sa petite enfance.


Au bout de deux heures de promenade, désireux de tout voir et de tout retrouver, il se dirige vers le château, suivi de ses courtisans épuisés, à commencer par le Régent « qui n’en pouvait plus », commente Mathieu Marais. Arrivé dans la galerie des Glaces, le roi se couche à même le parquet, imité par les personnes qui l’accompagnent, afin de mieux contempler le plafond garni des peintures de Charles Le Brun. Au terme de cette épuisante escapade, Louis XV se retire dans ses appartements. Le soir venu, les habitants de Versailles, pour manifester leur contentement, expriment le souhait de faire tirer un feu d’artifice pour célébrer l’arrivée du roi, mais Philippe d’Orléans, ne s’y montrant pas favorable, ne donne pas son accord. Ce 15 juin 1722, Versailles redevient donc résidence royale et symbolise le retour à la politique louis-quatorzienne.


La renaissance de Versailles

De retour dans son château natal, le premier souci de Louis XV est d’achever les travaux de son arrière-grand-père mais aussi de se constituer des espaces plus intimes et retirés pour parfaire son éducation. Sa timidité le pousse, en effet, à multiplier des petits cabinets dans lesquels il se sent plus à son aise que dans les grandes salles et les espaces publics conçus par Louis XIV. Quatre mois plus tard, une déclaration, en date du 6 octobre 1722, confirme l’édit de mai 1716 sur le rattachement du domaine de Versailles à la Couronne, mais rétablit une administration particulière qui allait subsister jusqu’à la Révolution française. Avec le retour de Louis XV, ce sont plus de 8 000 personnes qui emménagent à Versailles, comprenant aussi bien des courtisans, des domestiques que des gardes. La ville retrouve un niveau de population équivalent à celui qu’elle avait connu dans les dernières années du règne de Louis XIV avoisinant les 25 000 habitants.


La cour revenue, la vie reprend plus intensément et plus bruyamment qu’auparavant dans la ville. Bientôt, hôtels et chambres meublées regorgent de monde et Versailles n’est plus qu’une vaste auberge qui devient trop petite pour ses habitants. Ainsi, dans les années qui suivent, la ville va s’accroître et s’étendre vers le sud jusqu’au bois de Satory et au nord vers le Chesnay. Un nouveau quartier va s’élever comme par enchantement avec la naissance d’une seconde paroisse. Vingt-deux ans plus tard, en 1744, la ville comptera plus de 37 000 habitants. Louis XV régnera depuis Versailles jusqu’à sa mort en 1774, devenant l’unique monarque de l’histoire de France à être né et mort au château. La ville demeurera la capitale politique du royaume jusqu’à la Révolution et le départ de la famille royale pour Paris, le 6 octobre 1789… avant de connaître une nouvelle période d’abandon.


Faire de Versailles une cité industrielle

En 1718, le banquier John Law, futur surintendant des finances, songe à transformer Versailles en une cité industrielle. C’est dans cette optique qu’il fait venir d’Angleterre pour les installer dans le Grand Commun 200 ouvriers horlogers en vue de monter une manufacture de montres pour « relever l’honneur de l’horlogerie ». Celle-ci sera créée dans un hôtel particulier situé rue de l’Orangerie. « Ils fondirent une quantité prodigieuse de louis d’or […] pour faire des boîtes et des cadrans à leurs montres. Depuis ce temps, les montres, les tabatières et les cannes à pommes d’or sont devenues si communes, que les plus simples particuliers, et jusqu’aux maîtres laquais en portent » écrira Pierre Narbonne. Cependant, cette entreprise n’obtint pas l’effet escompté et ne survivra pas à la chute de John Law en 1720.


Un sacrilège

Lors de la deuxième nuit que le tsar Pierre le Grand passera à Versailles, des gens de sa suite feront venir des demoiselles de petite vertu pour se distraire et distraire le souverain. Celles-ci seront installées près de lui dans les appartements de madame de Maintenon, la très pieuse dernière épouse du roi Louis XIV. Le gouverneur de Versailles, Louis Blouin, ancien premier valet de chambre du Roi-Soleil, sera scandalisé par ce qu’il considérait comme une forme de profanation.

 
 
 

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