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Quand Versailles s'exposait à Paris Par Claire Bonnotte Khelil, collaboratrice scientifique au  château de Versailles

Au printemps 1932, une grande exposition a mis à l’honneur l’art de Versailles à l’Orangerie. Cette manifestation n’a cependant pas eu lieu dans l’orangerie du château, comme on peut s’y attendre, mais plus étonnamment dans celle du jardin des Tuileries, à Paris. Son caractère exceptionnel nous invite à mettre en lumière cet événement, aujourd’hui oublié, qui a suscité quelques passions en son temps, mais aussi contribué à la renaissance artistique de Versailles.


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Édifiée au milieu du xixe siècle afin de mettre à l’abri les orangers du jardin des Tuileries pendant la saison hivernale, l’orangerie des Tuileries se transforme à partir de l’entre-deux-guerres. En 1921, les fameux Nymphéas de Claude Monet y sont installés, conférant une nouvelle vocation à l’édifice, désormais entièrement dévolu à la création artistique. D’autres travaux menés dans les années suivantes conduisent à l’aménagement de quatre salles réparties dans la partie occidentale du monument. Ces espaces vont servir à la présentation de très nombreuses expositions temporaires, généralement consacrées aux peintres Impressionnistes, mais pas uniquement.


L’Orangerie de la capitale

Juste après une rétrospective dédiée au sculpteur Joseph Bernard, le lieu accueille du 9 avril au 10 mai 1932 une exposition entièrement vouée à l’art versaillais et aux dernières acquisitions effectuées par le musée national du château de Versailles.


Diffusée aux quatre coins de la capitale, en région parisienne, mais également dans de nombreuses ambassades de France à l’étranger, l’affiche de l’événement reproduit une des œuvres de l’exposition : un masque d’Apollon rhodien du règne de Louis XIV, provenant des collections du musée, se détachant sur un fond uni bleu roi.


Versailles à l’honneur

Pendant un mois, l’exposition L’Art de Versailles du musée de l’Orangerie réunit de façon inédite un peu moins de trois cents œuvres, réparties en trois volets : des dessins d’architectures et des vues anciennes, des fragments décoratifs et de récentes acquisitions. Beaucoup d’entre elles proviennent du musée national du château de Versailles et ont donc pris la route vers Paris en ce début de printemps 1932.


Parmi les œuvres les plus remarquées figure l’Apollon sur son char de Jean-Baptiste Tuby, disposé à l’entrée de l’exposition. Tout juste restaurée par le fondeur Eugène Rudier, la sculpture a bénéficié d’une remise en état grâce à la seconde donation de l’américain John Davison Rockefeller Jr., cinq ans plus tôt. Sa présentation pour la première fois « hors d’eau » permet aux visiteurs d’en apprécier de près toute la beauté, ravivée par sa récente restauration.


On expose également plusieurs plombs du labyrinthe, de même que des boiseries provenant d’appartements détruits, dans l’optique de mieux faire connaître Versailles et de valoriser sa dimension décorative. Pour l’occasion, des œuvres largement méconnues du grand public sont sorties des réserves. Les acquisitions des dix dernières années, tout comme les dons y sont également mis à l’honneur, comme le portrait du cardinal de Mazarin, alors attribué au peintre Philippe de Champaigne, offert par Walter Guy et Marcy Mortland en 1929.

D’autres musées nationaux, comme celui du Louvre, vont apporter leur soutien à la manifestation. Ainsi trente-sept dessins du Cabinet des Arts graphiques du musée du Louvre viennent garnir les hautes cimaises de ces salles, tendues de rideaux de couleur marron clair. Les Archives nationales sont également mises à contribution, de même que le Mobilier national, l’École nationale des Beaux-Arts ou encore la Manufacture des Gobelins. Le travail de cette dernière est par ailleurs mis en lumière par la présentation des courtes pointes des reines Marie-Thérèse et Marie-Antoinette, tout juste restaurées par ses ateliers. La bibliothèque Mazarine, quant à elle, concède le prêt exceptionnel des deux célèbres commodes d’André-Charles Boulle provenant de la chambre de Louis XIV au Grand Trianon.


Ce premier ensemble d’œuvres, particulièrement emblématique de l’art versaillais, est complété, d’une part, par des prêts des musées territoriaux, à l’exemple des villes de Troyes, du Puy ou de Reims, d’autre part, par ceux des collectionneurs privés. On y expose notamment un buste en marbre de Louis XIV appartenant à la duchesse de Polignac, sculpté par Antoine Coysevox. Enfin, le musée national de Stockholm met exceptionnellement à la disposition des organisateurs une aquarelle du fonds Tessin qui voyage, à l’aller comme au retour, par le biais de la valise diplomatique.


Riche de deux cent quatre-vingts numéros, le catalogue de cette manifestation est dirigé par André Pératé, conservateur du musée, aidé de ses deux proches collaborateurs, Gaston Brière et Charles Mauricheau-Beaupré. Au sein du château, les architectes du domaine, Patrice Bonnet et Armand Guéritte, contribuent également à la préparation de cette manifestation.


Au cœur des passions

À bien des égards, l’exposition de l’Orangerie s’inscrit dans le mouvement de renaissance du château de Versailles et de ses jardins, initié au tournant du siècle, et auquel de nombreuses personnalités du monde politique, littéraire et artistique participent. Inaugurée dans l’après-midi du samedi 9 avril 1932, elle rencontre un succès honorable à Paris, et déplace plus de dix mille curieux. Le jeudi 21, Paul Doumer, alors président de la République française, y fait l’honneur de sa présence. André Pératé, immédiatement prévenu de son déplacement, est missionné pour conduire cette visite, « sans chapeau haut de forme », lui précise-t-on. Une semaine plus tôt, l’ancien président de la République Alexandre Millerand, désormais président de la Société des Amis de Versailles, s’était également déplacé pour l’occasion au musée de l’Orangerie.


L’exposition suscite cependant, dès son origine, des interrogations, voire quelques réserves. En effet, qui est à l’origine de ce projet et pourquoi l’avoir organisé dans la capitale et non à Versailles ? Si l’on se fie aux comptes rendus du Conseil artistique des musées nationaux, il semble qu’André Pératé en soit le principal et unique initiateur. Lors d’une séance tenue le 1er février 1932, le conservateur propose la mise en valeur des enrichissements du musée national du château de Versailles. Le concept en est immédiatement acté par les différents membres de la commission, puis le projet s’étoffe très rapidement pour revêtir une dimension plus large. Ami de Maurice Denis, collaborateur puis successeur de Pierre de Nolhac en 1919 à la tête du musée national du château de Versailles, André Pératé consacre donc la dernière année de sa carrière à la préparation de cette exposition, organisée seulement en quelques semaines.  


À Versailles, force est de constater que le choix du lieu de l’exposition ne fait pas l’unanimité, suscitant même l’incompréhension et la colère de certains édiles. Pour certains, la présentation – ou plutôt l’exportation de Versailles à Paris – revêt une forme de trahison, pour ne pas dire un crime de lèse-majesté... Une pétition est même lancée en ville afin que l’exposition soit ensuite présentée au château, mais leur requête ne rencontre aucun aboutissement, faute de moyens. En outre, l’administration des Beaux-Arts justifie le caractère exceptionnel de sa tenue à Paris en raison de la restauration de plusieurs œuvres du musée dans la capitale et la possibilité offerte par leur présence à favoriser, bien au contraire, un nouvel engouement pour Versailles en retour. Rappelons qu’il s’agit alors de la première exposition « hors les murs » ayant mis en valeur les chefs-d’œuvre de Versailles en dehors de leur giron natal. À l’époque, une délocalisation, même temporaire n’allait, de toute évidence, pas entièrement de soi. 


Ce qu’il y a de plus beau à Paris…

Si ces critiques demeures périphériques, l’exposition versaillaise de Paris jouit d’éloges semble-t-il unanimes. Dans un article des Beaux-Arts du 25 avril, Philippe Diolé reconnaît : « On pouvait craindre que l’Exposition de l’Orangerie, groupant des dessins, des projets d’architectures, des boiseries, fragments d’un ensemble dont ils sont souvent les seuls vestiges, n’offrît un intérêt surtout documentaire et ne contentât l’esprit plus que les yeux. Cette crainte était vaine. »D’un point de vue des recettes, elle génère certes dix fois moins de dividendes que l’exposition Édouard Manet qui lui succède, et dont la fréquentation dépasse largement celle-ci. Plus encore, elle n’a manifestement pas fait date, comme l’exposition mythique de 1934 de Charles Sterling consacrée aux « peintres de la Réalité », révélant tout un versant méconnu de la peinture française du xviie siècle, et restée dans bien des mémoires.


Le contexte politique particulier dans lequel elle s’est tenue, marqué par l’assassinat du président Paul Doumer par Paul Gorguloff, un émigré russe, le 6 mai 1932, a sans doute très certainement perturbé son fonctionnement. Quatre jours plus tard, un congrès se tient dans l’hémicycle du château de Versailles, élisant Albert Lebrun comme nouveau président de la République française. Le jeudi 12 mai, comme beaucoup d’autres musées nationaux, l’Orangerie ferme exceptionnellement ses portes en raison d’une journée de deuil national décrétée lors des funérailles de Paul Doumer.


Malgré cela, l’exposition n’en reste pas moins un succès, et l’on ne peut que regretter aujourd’hui le peu d’iconographie conservée en lien avec cet événement. Si l’on distingue quelques photographies en noir et blanc dans la presse, le plus éclatant témoignage revient à l’artiste Léopold Jean-Ange Delbeke, dont un très beau pastel montre en effet la vision colorée d’une des salles de l’exposition. Au centre de la composition, se détachant sur une portière aux armes de France de Pierre-Josse Perrot de 1727, tapisserie en laine et soie des Gobelins provenant du Mobilier national, se tient la sculpture en marbre d’Iris attachant ses ailes, exécutée par Nicolas-Sébastien Adam et achevée par Clodion. Ces œuvres sont entourées de deux panneaux de boiseries peints en gris d’époque Louis XV, disposés de part et d’autre. La muséographie est sobre, baignée de lumière zénithale, mettant en lumière les dessins, les bustes en marbre disposés sur des gaines peintes en blanc, et les ouvrages reliés soigneusement disposés en vitrine.


Pour un billet d’entrée au prix modique de 1 ou 2 francs, le principal bénéfice de l’exposition réside probablement dans le fait d’avoir permis de montrer le meilleur de Versailles au sein de la capitale, mais surtout d’avoir contribué à convaincre de la nécessité de poursuivre, si ce n’est d’amorcer, le remeublement du château. En ce seul domaine, l’objectif semble atteint, voire peut-être dépassé au-delà des espérances par l’impulsion qu’elle produit. Quelques mois après la fermeture de l’exposition, la Bibliothèque Mazarine procède au dépôt des deux commodes d’André-Charles Boulle. D’anciens décors du château, également présentés à l’exposition, retournent à Versailles dans les années suivantes.


Dès son ouverture, l’ambition de l’exposition est annoncée dans le communiqué de presse diffusé par la direction des musées nationaux, et rédigé par Charles Mauricheau-Beaupré à la manière d’un manifeste : « Une exposition de cet ordre ne saurait se borner au Musée d’Histoire, au peu qui reste de Versailles dans Versailles même : son dessein est plus haut, plus vaste, il vise par quelques exemples, à l’aide de prêts généreux, à montrer ce que fut l’Art de Versailles [… ] un Versailles idéal, tel qu’il devait être […]. » Et l’on mesure aujourd’hui le tournant opéré par le musée en ce début des années 1930, s’affirmant non plus seulement comme un lieu d’histoire, mais également comme une place forte de l’art français, qui cherche et retrouve enfin sa place.


De façon symbolique, l’écriture de la préface du catalogue est confiée à Pierre de Nolhac. Aux yeux de l’académicien, « pour la première fois, Versailles rend à Paris les innombrables visites qu’il en a reçues ». L’image est belle, de surcroît si l’on songe qu’au même moment notre homme achève ses mémoires, rappelant en introduction, non sans une certaine malice, ses pensées de jeunesse : « Ce qu’il y a de plus beau à Paris, c’est Versailles »


Versailles à la mode

« Fort heureusement, ce triste temps n’est plus, où l’on méprisait Versailles, où on l’ignorait même. Les Parisiens se sont épris de la ville du grand Roi quand les poètes et les savants, comme Henri de Régnier, Robert de Montesquiou, Pierre de Nolhac, et combien d’artistes, leur en ont révélé les splendeurs et le charme. L’amour de Versailles est devenu une mode, presque un snobisme, mais on connaît mal encore tous les secrets de la Cité des Eaux, le détail de ses palais. Aussi, devons-nous applaudir à l’initiative de l’administration des Beaux-Arts qui vient d’organiser cette exposition de l’Art de Versailles […] » (Pierre Mornand, « Toujours Versailles », La revue française politique et littéraire, 15 mai 1932, n°13, p. 23).

 
 
 

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