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« Portrait de la plus belle » étude d’un portrait de madame Du Barry par le chevalier Dagoty

Ce portrait bien connu de la comtesse Du Barry avec son serviteur Zamor est souvent mal compris. Notons d’abord qu’il ne s’agit pas d’un tableau, mais d’une estampe en couleurs, véritable prouesse technique dans ce domaine. Ce n’est pas une gravure d’interprétation d’après un portrait de François Hubert Drouais, mais une œuvre de création. Ce n’est pas seulement une scène de genre représentant une dame de qualité à sa toilette, se faisant servir une tasse de café par son domestique, mais une œuvre de circonstance pour s’assurer la faveur de la maîtresse royale. Connue sous le titre flagorneur de « Portrait de la plus belle » donné par l’artiste, l’œuvre fut intitulée de « Madame Du Barry et son nègre Zamor » au xixe siècle, puis, aujourd’hui, « Madame Du Barry à laquelle Zamor présente une tasse de café ». Quant à son auteur, Gautier-Dagoty, il fut tout sauf chevalier, si ce n’est d’industrie, et ne doit qu’à son arrivisme d’être devenu « peintre du roi » puis de Marie-Antoinette…

Par Élisabeth Maisonnier, conservateur en chef du patrimoine au château de Versailles


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Jean-Baptiste-André Gautier-Dagoty (1738 ? -1786) est le fils du graveur Jacques-Fabien Gautier-Dagoty (1711-1785), qui développa en France le procédé complexe d’impression en trichromie mis au point par Jacob Christoph Le Blon (1710-1771) en Angleterre dans la première moitié du xviiie siècle, et se l’appropria jusqu’à en obtenir un privilège royal indu. Ses fils pratiquèrent ce procédé, avec plus ou moins de bonheur.


Un graveur ambitieux

La gravure en couleur fait l’objet de nombreuses recherches concurrentes au xviiie siècle. Les Gautier-Dagoty utilisent la technique de la gravure en manière noire (mezzotinto), qui consiste à graver en pointillé l’ensemble de la plaque grâce à un outil appelé berceau, puis, à l’aide d’un racloir, d’un grattoir et d’un brunissoir, à lisser certaines parties. À l’impression, les parties lissées ne retiennent alors plus l’encre. La réalisation de plusieurs plaques gravées, pressées successivement sur le papier avec des encres de couleurs différentes – bleu, rouge, jaune, noir, et ajout de blanc sur certaines versions – permet l’impression en couleur. Les gravures diffèrent selon la charge d’encre de couleur et l’usure, rapide, de la plaque. Le procédé est complexe et long, mais permet des effets très picturaux, des jeux de lumières séduisants, un rendu velouté, auquel on reproche toutefois une certaine mollesse. En outre, il ne s’agit pas d’une gravure d’interprétation, comme la traditionnelle gravure au trait, à l’eau-forte et burin, mais d’une véritable imitation de la peinture, faite de valeurs et de teintes différentes.


À plusieurs reprises, le père et ses fils présentent leurs estampes au roi. Ainsi, le 9 septembre 1767, « le sieur Gautier Dagoty a présenté au Roi les quarante premières planches de sa Collection de plantes imprimées en couleur » (Gazette de France). Ils font même des démonstrations d’impression : « Le 17 [novembre 1767], les sieurs Gautier Dagoty, père et fils, ont gravé et imprimé en couleurs, en présence du roi, le portrait de Sa Majesté. Cette opération s'est faite en cinq tours de presse et en six minutes de temps, et le tableau est sorti fini avec toutes ses couleurs. Le roi a daigné faire ensuite à l'auteur et à ses cinq fils qui tenaient chacun un cuivre de diverses couleurs, plusieurs questions relatives à leur art. La gravure de ce portrait est faite d’après le tableau peint par le fils aîné du sieur Gautier Dagoty, lequel a suivi la composition du sieur Michel Vanloo, et a fini la tête d'après Sa Majesté même en plusieurs séances. Cette estampe va paraître incessamment. » L’année suivante, « le sieur Gautier Dagoty, fils aîné, vient de peindre, d'après nature, le portrait du roi en buste, ainsi que ceux de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le comte de Provence et de Monseigneur le comte d'Artois. Cet artiste, conjointement avec ton père, travaille à graver, en couleurs, ces portraits » (Gazette de France, 20 avril 1768). Louis XV s'intéresse autant à la prouesse technique qu’à la possibilité de reproduire en grand nombre des portraits royaux, que les copistes du Cabinet du roi peinent parfois à réaliser assez vite. 

En 1770, Gautier-Dagoty présente encore une gravure en manière noire, « le Duc de Choiseul présentant au Roi le portrait de Marie-Antoinette », mais c’est bien comme peintre que le « chevalier d’Agoty » veut être reconnu. Se présentant comme « peintre du roi » dès 1772, il parvient après la mort de Louis XV à obtenir la faveur particulière de Marie-Antoinette, qui lui confie son premier portrait officiel (1), puis de la comtesse de Provence. Sans formation, ayant obtenu la faveur de la reine sans le soutien de son entourage, il est détesté et méprisé de madame Campan qui le qualifie dans ses Mémoires de « misérable artiste ». 


« La représentation de la beauté »

C’est au moment où son travail connaît un début de reconnaissance, où il choisit de se consacrer à la peinture sans tout à fait délaisser la gravure, que Jean-Baptiste-André Gautier-Dagoty, réalise ce portrait. Il est annoncé dans le Mercure de France en avril 1771 : « Portrait de Madame la comtesse du Barry, gravé dans la manière de la peinture. Ce portrait, gravé par M. Gautier d’Agoty fils, peintre et graveur du roi, fait illusion par l’heureux mélange des couleurs, et offre un tableau agréable. C’est un très grand effort de l’art de la gravure d’avoir porté à ce point l’imitation de la peinture dans la représentation de la beauté. La composition de ce tableau est en même temps simple et ingénieuse. Le prix est de 12 livres. » 


La signature sous la gravure – « peint et gravé en couleurs par J.B.A Gautier Dagoty, fils aîné, rue Montmartre » – ne laisse aucun doute : Dagoty seul est l’auteur du portrait peint et de la gravure. Drouais avait réalisé de nombreux portraits de la jeune femme à partir de 1769, certains exposés au Salon : Dagoty ne s’inspire pas de ceux-ci, mais bien de celui pour lequel il a sans doute obtenu une séance de pose. Un portrait peint [fig.] qui porte sa signature est d’ailleurs conservé au château de Potsdam (2) : la comtesse y apparaît dans une tenue un peu plus riche (perles dans les cheveux, corps de la robe bleue ornée d’un nœud) mais avec une coiffure semblable, un déshabillé de mousseline transparente aux rubans détachés identique, et surtout un visage présentant une inflexion et une expression similaires.

La gravure de Gautier-Dagoty est connue par plusieurs exemplaires (3). Les versions sont toutes différentes, en raison de la technique elle-même. Lors de l’impression, certaines feuilles n’ont pas reçu l’une ou l’autre des couleurs ; d’autres présentent des encrages plus ou moins forts ; les teintes et même le détail du décor des objets (tasse, plateau et boîtes) diffèrent. 


La favorite 

Contrairement aux portraits souvent mythologiques de Drouais, Gautier-Dagoty montre ici une jeune élégante à sa toilette, coiffée mais simplement vêtue d’un « habit de toilette » de mousseline, ouvert, aux rubans roses dénoués. Malgré une certaine maladresse, le modèle est bien reconnaissable à ses grands yeux en amande et ses fameux grains de beauté. 

La jeune Jeanne Bécu, maîtresse de Louis XV et comtesse Du Barry en 1768, dispose dès 1769 d’un appartement à Versailles, où l’on se presse, puis du château de Louveciennes, où elle reçoit. La favorite est représentée ici dans un intérieur riche mais neutre, meublé d’un fauteuil en velours et bois doré, d’une table sur laquelle est posé un miroir : rien n’évoque directement son luxueux appartement versaillais. Les quelques objets représentés indiquent l’aisance d’une jeune femme qui suit la mode : deux boîtes, peut-être en galuchat, ou porcelaine, sur sa table de toilette ; un petit plateau en laque française imitée de la Chine ; une tasse à café, qui, selon les gravures, semble de vermeil ou de porcelaine de Sèvres. Autant d’objets de luxe, que l’on acquiert chez les marchands-merciers parisiens. Quant au café, boisson importée et raffinée, il est réservé à une élite fortunée. 


Un jeune serviteur noir

Zamor, le jeune serviteur noir qui présente cette tasse de café, est un autre symbole du rang et de la fortune auxquels la comtesse a accédé. La présence d’un serviteur noir – le terme employé au xviiie siècle, inacceptable, est « nègre » ou « négrillon » – est traditionnelle dans les portraits des riches aristocrates ou bourgeois, surtout lorsque ces derniers se sont enrichis grâce au commerce avec les Indes. Madame de Pompadour avait deux serviteurs noirs. Pour la nouvelle comtesse, c’est l’une des expressions de la faveur royale et de son nouveau statut. 

Né en 1762 au Bengale, vraisemblablement acheté comme esclave par un capitaine anglais, affranchi en Angleterre ou en France, le jeune Zamor arrive à Versailles par l’intermédiaire du maréchal de Richelieu en 1769. Le roi le met au service de sa maîtresse. Il est baptisé Louis Benoît le 4 juillet 1772 à Versailles ; sa marraine est madame Du Barry, son parrain, le fils du prince de Conti. Considéré comme domestique, il reçoit pourtant de la comtesse une éducation soignée : il apprend à lire, écrire, compter, peut-être jouer de la musique. La favorite dépense pour lui des sommes considérables : les archives témoignent du luxe de ses tenues, six complètes pour près de 2 000 livres en 1770 par exemple. En 1772, on fournit « pour Zemord (sic) : un habit de hussard de gros de Naples, bordé d'un galon d'argent. Façon d'un bonnet et plume. Houppe garnie de bouillons jasmins. Ceinturon et petit sabre ». Gautier-Dagoty le représente en habit d’hiver, de velours rouge richement brodé d’or, et coiffé d’un turban également rouge et or. Dans la seule autre représentation du jeune garçon, le dessin de Moreau figurant une fête à Louveciennes, il porte un habit raffiné de soie rose, des bottines noires, une toque blanche à plume.


Une note de madame Campan dans ses Mémoires le mentionne rapidement : « Petit Indien qui portait la queue de la robe de la comtesse Du Barry. Louis XV s'amusait assez souvent de ce petit sapajou ; ayant fait la plaisanterie de le nommer gouverneur de Luciennes, on lui donnait 3 000 francs de gratification annuelle. » La tradition faisant de Zamor le « gouverneur » de Louveciennes n’est attestée par aucune archive. D’ailleurs, la plupart des anecdotes à son sujet, répétées à l’envi, figurent dans les Mémoires de madame Du Barry, texte apocryphe publié en 1829, inspiré des libelles des années 1770. C’est de ce texte fantaisiste que proviennent par exemple les termes méprisants de « jouet » ou de « poupée » qualifiant Zamor. Mais la légende est tenace, et fait aussi du « traître Zamor » la cause de la mort de l’ancienne maîtresse royale. Sans doute familiarisé avec les idées des philosophes, en particulier Rousseau, puis gagné aux idées révolutionnaires, il n’était pourtant que simple commis du comité de surveillance du district de Versailles. Il n’apparaît au procès de la comtesse que comme témoin dans les accusations de vol de diamants qui la conduisent à l’échafaud. Arrêté quelques semaines après comme « très suspect », il est même incarcéré comme agent de madame Du Barry. Zamor est mort dans la misère en 1820, dans une chambre où se trouvaient les œuvres de Rousseau et des portraits de Marat et de Robespierre…


Mais, bien loin de la légende ou du roman (dont il fut d’ailleurs un héros !), Zamor joue aussi dans ce portrait un rôle très concret : il permet à Gautier-Dagoty de démontrer sa capacité à traiter de manière subtile les traits fins et surtout la couleur de peau, cuivrée et non pas noire, du jeune bengali, exercice de style toujours délicat pour un peintre. La présence du « modèle noir » rehausse d’ailleurs par contraste le teint clair et rayonnant de la jeune femme. 

Autant de moyens pour Gautier-Dagoty de mettre en valeur ses propres talents de portraitiste, et de se faire valoir.


1• Chateau de Versailles, MV 8061.


2• GK I 6123. Il serait entré dans les collections de Frédéric II dès 1779.


3•  Deux toiles peintes ont été réalisées ultérieurement d’après la gravure : un tableau conservé à la Fondation Calouste Gulbenkian, peut-être de la fin du xviiie siècle, et une version agrandie en ovale réalisée pour Versailles en 1838 par Auguste de Creuse et disparue depuis 1973. 

 
 
 

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