Pignerol la ville du Masque de Fer
- mikaelamonteiro11
- Apr 6, 2024
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Située à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Turin, capitale du Piémont, la petite ville piémontaise logée au pied des Alpes ne conserve de son passé français que quelques témoignages, survivants du tremblement de terre d’avril 1808.
Par Lionel Marquis, journaliste

Le 31 mars 1630, pour la deuxième fois, les armées du roi de France entrent dans Pignerol. La première, c’était presque un siècle plus tôt, au temps de François Ier, et cela dura de 1536 à 1574 avec le maréchal de Lesdiguières (1).
Cette fois, cette occupation est le fait du maréchal de Richelieu, et la conséquence indirecte de la guerre de Trente Ans qui ravage les pays allemands depuis douze ans et de la guerre de succession du duché de Mantoue (2). C’est la revanche pour les Français, qui avaient tenté, quelques années auparavant, de s’emparer de la ville. Mais la rapide réaction de Ortensia di Piossasco, épouse du gouverneur Carlo di Rivara, comte de Valperga, les avait privés de cette victoire.
Pignerol pris, un traité est signé avec le tout jeune duc de Savoie, Victor-Amédée Ier (3). Celui-ci, en échange du Montferrat et de sa « capitale » Casale, cède, à la France, Pignerol. C’est le début d’une présence française qui durera près de soixante-dix ans, de 1630 à 1696. Cette seconde occupation française, commencée glorieusement sous Louis XIII, s’achèvera piteusement sous Louis XIV. Durant cette période, Pignerol, extrême limite du territoire français en Piémont, ne cesse de prendre de l’importance aux yeux de Louis XIV, qui veut en faire une « forteresse de premier rang ». À son apogée, la ville compte 15 000 hommes de garnison, bien plus que la population, qui a été décimée par la peste de 1630.
Un siège court
La prise de la ville a été rapide. Une quinzaine de jours suffirent pour recevoir la reddition des sept cents hommes de la garnison et de son gouverneur, Umberto di Piossasco. Le siège a été mené de main de maître par Richelieu en personne et le maréchal de Schomberg (4) qui, descendus en plaine par le Montgenèvre, fondent sur la ville.
Une fois la brèche ouverte dans les fortifications du nord-est de la ville – laquelle brèche a donné son nom durant quelques années à une place de la ville Piazza della Breccia, devenue depuis Piazza Marconi, près de l’église San Domenico –, il ne reste plus qu’à attendre la reddition. Ce qui est fait le 31 mars 1630. C’est en 1631 seulement, par le traité Cherasco, que la ville sera rattachée à la France de Louis XIII.
Les Français transforment la petite ville en forteresse
En raison de sa position stratégique au pied des Alpes et de son voisinage avec Turin, la nouvelle capitale du duché de Savoie, Pignerol est convoitée. Ses fortifications, datant du Moyen Âge, se composent d’un château doté d’un donjon, de plusieurs tours et d’un corps de logis. La ville est entourée d’une enceinte bastionnée à partir du début du xvie siècle.
Pignerol est soigneusement fortifiée par Jean de Beins (5), et constitue jusqu’à la fin du siècle une défense importante du royaume de France. D’abord « gouvernement particulier », elle est érigée par Louis XIII en « gouvernement général » en 1642 dont le premier gouverneur recensé est Henri de Malecy (6) de 1643 à 1651. C’est la raison pour laquelle les autorités françaises – et Louis XIV le premier – ne cesseront de renforcer les défenses de la ville. Les ingénieurs piémontais et français y réalisent de multiples chantiers qui conduisent à la pétrification de l’enceinte urbaine et à l’enclavement complet du château médiéval, conservé intégralement, dans une citadelle de plan carré à double rempart bastionné. L’enceinte, quant à elle, est composée de cinq fronts bastionnés et cinq bastions. La ville est ainsi protégée, dans le sens horaire, par les bastions des Capucins, de Schomberg, de Montmorency, de Créqui, de Villeroy, de Richelieu, de La Cour et celui de Malicy (du nom du premier gouverneur de la ville, de 1634 à 1650), tandis que la citadelle l’est par les bastions du Roi, de la Reine, d’Aiguebonne et de la Fonderie.
On n’accède cependant à ces bastions que par deux portes : la porte de Turin au sud-est, entrée principale située entre les bastions de Créqui et de Montmorency, et la porte de France au sud-ouest, entre les bastions de Richelieu et de La Cour.
La citadelle
La transformation de la petite ville située au débouché d’une vallée sur la plaine du Pô en verrou militaire implique la construction d’une citadelle. Celle-ci se fait au détriment de la partie haute de la ville, tandis que sa partie basse subit d’importantes interventions dans le but d’en renforcer les défenses. C’est ainsi que l’on voit s’ériger un arsenal, une fonderie de canons, un hôpital militaire, des casernes. Ce sont ces importants changements qui confèrent à Pignerol l’image d’une imposante cité-forteresse comme elle est représentée dans les gravures du xviie siècle. Le bourg et la périphérie cessent définitivement d’exister : tous les palais, nobles ou non, sont démolis, à l’exception de l’église San Maurizio, et l’aspect initial des lieux se perd. Pignerol esr entouré une double rangée de murs à l’exception des endroits où la nature du terrain permet des murs simples qui, à intervalles réguliers, se prolongent vers la plaine pour former les bastions. Entre un bastion et l’un autre, se trouvant les demi-lunes, situées au milieu du fossé et qui permettent de protéger les habitations depuis une position plus avancée. Et enfin un cheminement couvert ceinture la ville.
La citadelle date du xe siècle et s’élève sur la colline. C’est sous Thomas de Savoie qu’elle a été renforcée par l’ajout de six tours. En 1630, à l’arrivée des troupes françaises, Richelieu décide de l’entourer d’un bastion et en fait la citadelle de premier rang avant qu’elle ne soit renforcée sur demande de Louvois par Vauban. En 1696, lors de la restitution de la ville à Victor-Amédée II, les murs disparaissent dans le fracas des mines.
Cependant la citadelle est passée à la postérité pour une raison tout autre que sa puissance. Prison d’État, elle « accueille » d’illustres personnages, le premier d’entre eux étant Nicolas Fouquet, surintendant des Finances du roi. Après son arrestation, il est conduit à Pignerol le 16 janvier 1665, escorté par un certain Charles de Batz, seigneur d’Artagnan, comme le prouvent les documents conservés aux archives de la Ville. Durant quelques années, de 1669 à 1681, il a pour « colocataire » un dénommé Eustache Danger, lequel passera à la postérité comme étant le mystérieux « Masque de Fer ». Ce dernier arrive le 24 août 1669 avec son « ange gardien » M. de Saint-Mars (7) – gouverneur de la citadelle de 1665 à 1681 et apparenté à Louvois – qui lui est attaché pour toute la durée de sa captivité. Lui seul sait la véritable identité du Masque de Fer, mais il ne se confie à personne. Il serait injuste de ne point mentionner le duc de Lauzun, emprisonné parce que ses galanteries envers certaines dames n’ont pas eu l’heur de plaire au Roi-Soleil.
Les modernisations de Vauban
En 1670 arrive à Pignerol le premier ingénieur du roi, Sébastien Le Prestre de Vauban. D’autres chantiers ont certainement été conduits avant la première visite de Vauban sur place en 1669. Ce dernier est venu à la demande de Louis XIV pour agrandir les fortifications (en les étendant probablement en direction de Saluces, au sud-ouest) et pour les améliorer. Il signe un projet en 1670 pour la citadelle et la ville, dont il critique l’enchevêtrement des défenses anciennes et modernes.
Il en retrace le chemin couvert – qu’il dote de traverses et de places d’armes rentrantes – et modernise l’intérieur : le déplacement des lieux d’aisance, auparavant trop proches des réserves d’eau potable, permet notamment d’améliorer le confort et l’hygiène de la garnison.
Conjoncture militaire et climatique
En 1692, La Motte établit un autre projet prévoyant la construction d’ouvrages totalement neufs et un approfondissement des fossés afin de restructurer l’enceinte urbaine. Cependant, la guerre de la Ligue d’Augsbourg conduit les ingénieurs français à n’entreprendre que des travaux d’urgence, qui permettent néanmoins de faire échouer le siège piémontais de 1693. Un dernier projet est réalisé en 1695.
En réalité, après des batailles sanglantes, à La Staffarda le 18 août 1690, et à La Marsaille le 4 octobre 1693, suivies de longs bombardements, la ville reviendra au duc de Savoie Victor-Amédée II (8) par le traité de Turin du 29 août 1696 qui comporte comme clause pour le duché l’obligation du démantèlement des fortifications. Un travail qui durera treize ans.
Pourtant, Louis XIV a fait graver au-dessus de la porte une magnifique inscription : « Pignerol obéira perpétuellement aux Français, lesquels auront ici une porte toujours ouverte en Italie. »
Le 2 avril 1808, un violent séisme détruit une bonne partie de ce qui reste des bâtiments érigés au xviie siècle. Pour leur reconstruction, Napoléon fera verser 50 000 livres de l’époque. Ne survivent de nos jours que quelques-uns de ces édifices : l’Arsenal, construit en 1690 sur la demande de Vauban, et l’hôtel de la cavalerie, derrière le bastion Villeroy qui a été abattu en 1960. Quant à la figure mystérieuse du Masque de Fer, elle fait l’objet chaque année, la première semaine d’octobre, d’une représentation costumée au cours de laquelle il est possible de converser avec d’Artagnan.
1• Charles Ier de Blanchefort de Créqui (Charles II de Créquy, vers 1575-1638), 2e duc de Lesdiguières, est colonel des Gardes françaises puis maréchal de France et chevalier du Saint-Esprit. Dès 1625, il participe à des opérations militaires en Piémont, s’empare de Saluces puis participe à la campagne qui mènera à la capitulation de Pignerol. Il meurt au combat en Lombardie.
2• En 1627, le dernier Gonzague de Mantoue meurt sans descendance. Allié aux Nevers, son trône revient donc à un Français. Une situation que ne peuvent tolérer les Habsbourg qui font mouvement pour empêcher que les Nevers, lesquels règnent déjà sur le Monferrato (centre du Piémont), puissent perturber, voire empêcher le transit des troupes à travers la Valteline vers les champs de bataille de la guerre de Trente Ans. C’est ainsi que le maréchal Lesdiguières est envoyé par Richelieu à la tête de 30 000 hommes pour s’emparer de Pignerol qu’il considère comme un verrou stratégique. « Qui tient Pignerol, tient le Piémont », aurait-il déclaré.
3• Successeur de Charles-Emmanuel Ier à la tête du Piémont, et beau-frère du roi de France, Victor Amédée Ier (1587-1637) doit néanmoins signer le traité de Cherasco (6 avril 1631) qui cède Pignerol à la France puis s’allier à cette dernière pour lutter contre l’Autriche.
4• Schomberg (1575-1632) est nommé grand maître de l’artillerie en 1622 et participe en tant que tel au siège de La Rochelle. Maréchal de France en 1625, il occupe durant quatre ans (1619-1623) la charge de surintendant des Finances du royaume.
5• Ingénieur militaire français, Jean de Beins (1577-1651) se rend en Savoie en 1697 aux côtés du duc de Lesdiguières. Grand fortificateur du Dauphiné en 1607, il est anobli en 1610 et prend une part importante dans les guerres du Piémont de Louis XIII.
6• Henri Martin, marquis de Malecy (1594-1666) est d’abord capitaine au régiment des Gardes. Le gouverneur de Pignerol est considéré par ses contemporains comme « l’un des meilleurs hommes de guerre de son temps ». En 1622, il participe au siège de La Rochelle et en 1630, il conquiert la Savoie. Le 5 novembre 1643, il est nommé par le roi gouverneur et lieutenant-général de Pignerol ; charge qu’il conservera jusqu’à sa démission huit ans plus tard. Il mourra dans cette même ville.
7• Bénigne Dauvergne de Saint-Mars (1626-1708) est le fils d’un officier de la Paneterie du roi. Mousquetaire à vingt-quatre ans, brigadier à trente-quatre et maréchal des logis quatre ans plus tard, c’est lui qui, en compagnie de d’Artagnan, arrête en décembre 1664 Nicolas Fouquet et le mène à la citadelle de Pignerol. Saint-Mars sera ensuite gouverneur de la Bastille de 1698 à 1708.
8• Victor Amédée II (1666-1732), fils de Charles-Emmanuel II, peut être considéré comme le Charlemagne de la Savoie. Battu à La Staffarda en 1690, il n’envahit pas moins le Dauphiné deux ans plus tard. Défait à la bataille de La Marsaille (1693), il doit signer une paix séparée avec la France et reçoit Pignerol. Au cours de la guerre de Succession d’Espagne, il combat aux côtés de l’Autriche et vainc les Français à Turin en 1706. ’Il reçoit en 1713, par le traité d’Utrecht, le Milanais et la Sicile.
L’arsenal
L’arsenal est construit à côté du bastion de Montmorency. C’est un édifice de plan quadrangulaire bâti, sur la volonté de Louis XIV, par l’ingénieur La Motte de La Mire, comme dépôt de poudre et de réparation des armes. Ce projet est complété en 1682 durant son second passage. Aucun de ces plans n’a altéré le tracé de l’enceinte et de la citadelle qui reste identique entre 1669 et 1692.
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