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Le prince Xavier de Saxe à la Cour de Versailles

Fils puîné du roi de Pologne, le prince Xavier de Saxe rend visite à plusieurs reprises à Louis XV et a l’honneur d’être hébergé au château de Versailles. Honneur passager car la question du logement des visiteurs, quel que soit leur rang, se révèle épineuse lorsque la Cour est surpeuplée et que les indélicatesses prennent la tournure de fautes diplomatiques.


Par Vincent Dupanier, docteur en histoire de l'art moderne, Paris Ouest Nanterre



Lorsqu’en septembre 1758 le prince Xavier de Saxe (1730-1806) se rend à la Cour de France, le ministre Marigny lui propose de loger à Paris au palais des Tuileries. L’administration des Bâtiments du roi lui attribue l’appartement de l’évêque d’Orléans que l’on finissait de rénover (1). Mais à son arrivée, le prince Xavier préfère loger à Versailles, auprès de sa sœur, la dauphine Marie-Josèphe. À partir de cette date, le prince occupe plusieurs logements, pour lui et sa suite, au château (2). L’appartement lui est laissé à condition qu’il le rende à son départ au locataire habituel.


Un accueil prévenant

Ainsi en novembre, mais peut-être dès septembre 1758, le prince et sa suite ont à disposition plusieurs pièces du château (3). Tout d’abord, le gouverneur de Versailles lui attribue l’appartement du comte de Clermont, et on lui ajoute celui du duc de Lauraguais, en tant que commandant du corps saxon. Avec le prince, sont logés le chirurgien Wolf, un certain Stein son valet de chambre, un cuisinier et trois domestiques. Des logements sont attribués pour sa suite : au baron de Weichs et au major-général von Polens, l’appartement de M. le comte de Maillebois, et pour le colonel Poninsky, le colonel Martange et son aide de camp Charles de Block, un logement en ville. Son secrétaire et le père de Boccard, son aumônier, sont logés dans un appartement de M. l’abbé d’Argentré au grand commun. Selon l’historien Newton, cet appartement, alors occupé par le comte de Clermont, est celui que l’on appelait « appartement de Mme de Maintenon » (4). Il est réattribué au prince jusqu’en 1761 – car M. le comte de Clermont ne veut pas « reprendre son logement tant que M. le comte de Lusace fera des voyages à la cour ». Le duc de Noailles décide donc que les appartements du comte de Clermont et du duc de Lauraguais seront réservés jusqu’à la fin de la guerre de Sept ans pour les venues à la Cour des membres de la famille de la dauphine (5). En avril 1761, le comte de Noailles propose au roi, lorsque le prince Xavier n’y est pas, d’y placer la garde-robe du roi « jusqu’à ce que l’endroit puisse être arrangé »pour un autre locataire (6). Cette remarque montre bien que le manque de pièces se fait ressentir au château, et qu’on utilise tous les espaces disponibles dès que possible.


Mais la suite du prince de Saxe pose problème car le prince veut l’avoir près de lui, au château même : en novembre 1759 « le logement de Mme la duchesse de Broglie » est attribué à la suite du prince (7). En 1762, un des appartements occupés par le couple Martange est le « logement de M. le prince de Tingry » (8). Les membres les moins importants de la suite doivent quant à eux trouver un logement en ville à leur frais.


Retour incognito

Après un voyage en Saxe entre 1772 et 1774, Xavier de Saxe espère, en tant qu’oncle du roi régnant, avoir un logement au château. Mais le prince n’a plus été présent en France depuis 1763. En effet, après la mort de son frère aîné le prince-électeur de Saxe Frédéric-Christian, le prince Xavier, en tant qu’aîné de la famille du nouvel électeur Frédéric-Auguste encore mineur, a dû assurer la régence en tant que prince administrateur (« Administrator »). Il fait du château électoral (« Residenzschloss ») de Dresde sa demeure officielle (9).


Après cette période, il décide de quitter la Saxe en 1768 pour l’Italie où il réside jusqu’en 1771 puis il se rend en France où il s’installe au château de Chaumot (Yonne) qu’il vient d’acquérir avant de se décider à acheter le château de Pont-sur-Seine (Aube) en 1775. De plus, étant revenu incognito en France, il ne peut plus réclamer un logement en tant qu’envoyé officiel de la Saxe. Ce n’est qu’en tant que courtisan qu’il peut en obtenir un. En raison de son mariage secret avec la comtesse Chiara Spinucci, fille de Giuseppe Spinucci secrétaire du cardinal Borgia (famille anoblie par le roi de Pologne Jean III Sobieski qui leur avait donné le fief polonais de Milanow, dans le palatinat de Volhynie), il adopte l’incognito pour ses déplacements pour se permettre ce que son statut de prince royal et administrateur lui interdisait auparavant.


Des demandes de logement infructueuses

Lors de la saison des chasses de 1774, le prince obtient de pouvoir suivre le roi et d’être logé au château de Fontainebleau. À de nombreuses reprises, il demande au comte de Noailles de pouvoir être installé au château de Versailles après les chasses (10). Cette requête aurait été refusée par le ministre car le prince semblait avoir fait savoir qu’il n’en avait pas besoin (11). Cette explication semble troublante car il a régulièrement réitéré depuis plusieurs mois sa demande. Mais en 1785, le prince Xavier a enfin le fin mot de l’affaire : « J’ai trouvé l’occasion de lui demander sans affectation ce qui s’était passé au sujet du logement demandé par V. A. R. On lui a dit vrai à ce sujet et le roi le refusa effectivement, mais c’était dans des circonstances qui, dans ce temps, faisaient craindre que V. A. R. ne fût trop souvent à Versailles et vraisemblablement le refus venait plus de M. de Maurepas que du roi. » (12)

À cette date, le ministre Maurepas semble vouloir loger au château les proches de Choiseul, plutôt que ceux de la dauphine défunte.


Une cour maladroitement assidue

Louis XVI est, de plus, en froid avec son oncle. Les rapports se sont distendus lorsque le prince a remis une lettre à son neveu après le décès de Louis XV, comme le prince l’explique dans une lettre le 31 mai 1774 : « Tout de suite après la mort, [je remis] une lettre de condoléances au nouveau roi, dans laquelle, après les compliments analogues à la circonstance, j’ai glissé que c’est sa mère de concert avec son père qui m’ont appelé en France et attaché à ce service, et que, pendant l’administration où j’ai été obligé de quitter ce pays, je n’ai cherché à donner une existence à la Saxe que pour la rendre plus unie encore à la France par les raisons d’intérêt qu’elle ne l’est par les liens du sang ; et je l’ai finie en me recommandant, ainsi que ma sœur, à sa protection, et que nous nous flattions de retrouver en lui la même existence heureuse que nous avait accordée feu son grand-père qui nous avait comblés de ses bontés dans toutes les occasions, et que sa bienveillance précieuse suffirait à notre bonheur mutuel. » (13)


Le roi aurait donné une réponse « très amicale, par laquelle il me marque qu’il sait les liens qui nous unissent ensemble, que la mémoire de sa mère lui sera toujours chère » et qu’il sait que le prince est très attaché « à la couronne dans la dernière guerre et dans l’administration de la Saxe » (14). Mais cette réponse est trompeuse. On sait ce que le roi en pensait réellement grâce à ce qu’en a écrit l’ambassadeur autrichien Mercy-Argenteau à l’impératrice : « S.M. daigna me dire que le prince Xavier de Saxe, dans une lettre peu protocolaire, avait félicité le roi pour son avènement, disant à cette occasion qu’il était heureux de se trouver l’oncle du roi, et finalement il recommandait le duc d’Aiguillon à la bonté du roi comme ministre consciencieux. Le roi avait répondu par des expressions de politesse à la première partie de cette lettre, mais en ce qui concernait la fin, il avait répondu qu’il savait très bien choisir ses ministres malgré son âge. » (15)


N’ayant pas connaissance de la réelle opinion du roi sur sa lettre, le prince continue de faire sa « cour assidûment au nouveau monarque » qui lui a parlé de nombreuses fois. Il ajoute qu’ils ont discuté « de choses indifférentes ; mais vous savez que dans ce pays-ci cela fait beaucoup » (16). Malgré les premières impressions données, Louis XVI ne conserve pas les ministres en place. Le duc d’Aiguillon démissionne le 2 juin 1774, en conservant le commandement des chevau-égers (17). Jusqu’à cette démission, le prince a tenté de jouer un rôle de premier plan auprès du roi. Les gazetiers s’en font l’écho, comme en témoigne la Correspondance secrète, politique et littéraire de 1787 : « Le duc d’Aiguillon sera à jamais un personnage célèbre dans les annales de la France; on découvre journellement les ressorts qu’il a fait jouer pour conserver les deux départemens [sic] qu’il occupait dans le Ministère : ce n’était pas assez pour lui d’avoir employé M. le Comte de Maurepas. Il fit aussi intervenir M. le comte de Lusace, qui proposa bonnement au Roi de tenir sous lui les rênes du gouvernement, et de le guider dans la carrière de l’administration. Dans le même temps il envoya un courrier à Madame la princesse Christine, pour la faire venir à la Cour et s’en servir, et en cela il fut puissamment secondé auprès du frère et de la sœur par M. de Martange : mais tous ces moyens furent inutiles. Le roi trouva fort extraordinaire la proposition de M. le comte de Lusace; et la princesse Christine mal accueillie, ne passa à la Cour que deux fois vingt quatre heures. » (18)


Le prince explique que le déroulement des événements est bien différent « de celle dont ont parlé tant de gazetiers soudoyés » (19). Le prince se défend d’avoir été maladroit dans une lettre du 15 juillet 1774 : « Vous me connaissez assez longtemps, mon cher Sayffert, et vous me faites tort en doutant que j’aime la franchise avec laquelle vous me parlez, de ne rien avoir écrit à l’occasion de la mort du roi, de flatteur pour le régnant. » (20)


Rancœur réciproque

Le prince Xavier peut donc être mécontent du nouveau roi, qui ne lui a pas donné au sein du gouvernement la place qu’il estime lui revenir de droit. Il écrit, à partir du 15 juillet 1774, plusieurs lettres, où il compare le roi à son neveu l’électeur, avec lequel il s’est brouillé pendant son administration. Il met en avant la figure d’un roi qui n’est pas impliqué dans les affaires de l'État et ne laisse rien transparaître de sa volonté : « J’ai su même que les ministres ont dit à leurs amis le peu de discernement qu’ils aperçoivent en lui dans les différents Conseils. Hors de ces heures où il est obligé d’y assister, il ne s’applique à rien : les chasses, promenades en cabriolets et à pied et beaucoup de jeu de billard sont ses amusements. On prétend aussi que dans son intérieur il s’amuse beaucoup à la menuiserie et marqueterie. Dans le public, il ne parle à personne, et à peine le voit-on un demi quart-d’heure pendant lequel il cause avec ses frères ou quelque jeune courtisan. De quatre fois de suite que j’y ai été il n’a pas dit un mot ni au duc des Deux-Ponts ni au ministre d’Espagne. Ce dernier même, un jour en nous en allant me dit : On ne se plaindra pas que cela n’en soit trop long, et tout est dit pour la journée. Deux fois il m’a fait la même question, si j’aurai eu des nouvelles de ma sœur Christine, et à peine ai-je le temps de lui répondre oui ou non. » (21)


Le prince accuse la reine de trop influencer son époux et « avec cela, elle est si volage et si enfant qu’on ne suit aucun système, et personne ne doute que ses sottises ne lui fassent tôt ou tard perdre son crédit » (22).


À partir de ce moment, le prince semble se désintéresser des conflits politiques de la Cour et se retire dans son château de Pont. Cette position lui fait dire lors du sacre de son neveu en mars 1775 : « Dans la dispute de rang entre les Princes et l’Archiduc, je me suis conduit tout naturellement sans me mêler de rien. » (23) À partir de 1775, le prince est dans une position complexe. Il garde un lien avec la Cour grâce à ses agents auprès des ministres, mais ne peut plus y apparaître sans qu’on lui rappelle ses anciennes alliances politiques avec la comtesse Du Barry et le duc d’Aiguillon exilés.

 
 
 

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