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Le couvent de la Reineun défi architectural d’envergure

Le couvent de la Reine à Versailles, dont on fête cette année les deux cent cinquante ans d’existence, n’est pas un édifice connu du grand public. Il s’agit pourtant d’un établissement majeur de la ville, qui fut édifié sur la volonté de la reine Marie Leszczyńska, et dont le plan reflète les contraintes auxquelles Richard Mique a dû se confronter, défis habilement relevés par l’architecte pour ériger les bâtiments devenus le lycée Hoche.

Par Florian Audouin, professeur au lycée Hoche, référent des bâtiments historiques


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En 1766, à la mort de son père Stanislas Leszczyński, roi déchu de Pologne et duc de Lorraine, la reine Marie Leszczyńska reçoit en héritage la somme de 450 000 livres, qu’elle va consacrer à l’accomplissement d’un vœu qui lui est cher : celui de fonder un couvent à Versailles, où elle souhaite finir ses jours, au cas où son époux le roi Louis XV viendrait à mourir avant elle. Très pieuse, elle désire fuir le climat libertin et hostile qui règne alors à la cour.


Une commande royale

À cette époque, le domaine de Clagny et son château, élevé pour madame de Montespan au siècle précédent, menacent ruine faute d’entretien de la part des héritiers de la marquise. Ils reviennent alors à la Couronne, après un échange avec le comte d’Eu, et Louis XV cède à son épouse, pour la fondation de son établissement religieux, un terrain de onze arpents sur les anciens jardins de Clagny ; ce terrain se divise en deux parcelles, une langue de terre de deux arpents, perpendiculaire à l’avenue de Saint-Cloud, et une parcelle rectangulaire de neuf arpents au nord. La reine désigne comme architecte Richard Mique, l’architecte de son père ; et dans une lettre de son confesseur polonais, le Père Bieganski, datée du 8 octobre 1766, l’architecte nancéien est appelé à Versailles afin de prendre en charge la construction du futur couvent.


Le choix de la reine pour les occupantes des lieux se porte sur la congrégation de Notre-Dame, chanoinesses régulières de Saint-Augustin ; l’ordre des chanoinesses de Saint-Augustin avait été fondé environ cent cinquante ans plus tôt par saint Pierre Fourier, natif des Vosges. Ce dernier est une des principales figures de la Réforme catholique en Lorraine au xviie siècle. Chargé, de 1621 à 1628, de la réforme de l’ordre des chanoines de Saint-Augustin, il est également à l’origine de la création de la congrégation de Notre-Dame, pendant féminin de celui des chanoines, qu’il dirige avec la religieuse éducatrice Alix Le Clerc. Outre les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, chaque future chanoinesse de Saint-Augustin doit faire vœu d’enseigner. Dans son œuvre Les Constitutions, Pierre Fourier définit les règles de la vie de la communauté ainsi que le règlement complet de l’éducation des jeunes filles que les religieuses chanoinesses vont prendre en charge ; en particulier, tout établissement de cet ordre doit posséder des « petites écoles » dites « externes » destinées à accueillir gratuitement en leur sein des fillettes de la ville, indépendamment de leur origine sociale.


Lors de séjours de la Cour à Compiègne, Marie Leszczyńska rencontre fréquemment ces religieuses. Elle s’émeut de les voir vivre dans des bâtiments vétustes et appréciait la vocation enseignante de cet ordre. Le couvent qu’elle crée possèdera un internat destiné à accueillir en permanence une cinquantaine de pensionnaires, filles d’officiers de la reine puis de la Couronne, en récompense des services rendus par leurs parents. Les « petites écoles » comblent un manque à Versailles. Elles auront accueilli jusqu’à 500 petites filles et le couvent, près de 400 pensionnaires. Par ailleurs, l’église Notre-Dame étant devenue trop petite pour le quartier nord de la ville, la chapelle du couvent doit accueillir les habitants de la ville désireux de se rendre à la messe, ce qui implique pour Richard Mique la mise en place au sein de l’édifice d’une distribution savante de cinq flux de personnes qui ne doivent pas se rencontrer. Mais surtout, pour que la congrégation soit reconnue par Rome, obligation est faite aux chanoinesses et à leurs pensionnaires de suivre la règle stricte de la clôture. D’où la charge pour l’architecte d’agencer les différents départements du couvent : celui des religieuses et de leurs pensionnaires, à l’intérieur de la clôture ; celui de la chapelle ouverte aux fidèles de la ville, hors clôture ; et celui de l’école des externes, accessible directement depuis l’avenue de Saint-Cloud, sans accès à l’enceinte cloîtrée.


Dans son premier projet, présenté à la reine en 1767, Richard Mique établit cinq domaines distincts : à l’est, les religieuses installées dans un bâtiment en U autour d’un cloître, les pensionnaires prenant alors possession d’un bâtiment symétrique à l’ouest. Au nord, un grand corps de logis central à trois étages, destiné à la reine et au noviciat, reliant les deux précédents. Au sud, la chapelle et les chœurs des religieuses et des pensionnaires. Dans la cour d’honneur s’ouvrent les « petites écoles » destinées aux fillettes de la ville.


La reine meurt le 24 juin 1768 sans voir achever son établissement religieux et enseignant. Sa fille Madame Adélaïde poursuit son œuvre et Richard Mique lui propose deux nouveaux projets, dans lesquels les bâtiments conventuels sont très peu remaniés. Dans le dernier projet, accepté par la princesse, l’église et les parloirs sont redessinés dans un sens de l’adoucissement de l’austérité primitive caractérisant les constructions donnant sur la cour d’honneur. La chapelle, selon un plan en croix grecque, entre alors en parfaite harmonie avec les deux parloirs en équerre qui l’encadrent. Les religieuses arrivent à Versailles à la fin septembre 1772 ; la cérémonie de clôture a lieu au début octobre suivant. Les travaux de la chapelle s’achèvent en 1778. La façade du lycée Hoche, visible depuis la cour d’honneur ou depuis les anciens jardins devenus « cour des sports », reflète aujourd’hui parfaitement les réalisations de Richard Mique.


Une clôture sous le contrôle de l’évêché de Paris

Au printemps 1772, la clôture n’étant pas encore effective, les sœurs ne peuvent prendre possession du couvent. Le 7 juillet de la même année, l’archevêque de Paris missionne une délégation formée du personnel de l’archevêché, à savoir l’official Jean-Baptiste de Bois-Basset, le greffier et le procureur général, auxquels se joignent M. Corvisart, représentant la communauté, et huit habitants du quartier Notre-Dame. La visite se fait sous la conduite de Richard Mique. Le compte rendu, rédigé par l’official, confirme la parfaite réussite de l’œuvre de l’architecte dans le respect de la clôture pour la totalité de l’établissement. Les commémorations de l’année scolaire 2022-2023 correspondent exactement au deux cent cinquantième anniversaire de la clôture du couvent de la Reine.


La clôture pour les « écoles externes »

Bien que leurs maîtresses soient des religieuses, les petites élèves des « écoles externes » n’ont pas accès à l’intérieur de la clôture. L’organisation complexe, indiquée ci-après, se répète chaque jour et le plan de Richard Mique permet de la comprendre.


Les petites élèves, entrant dans la cour d’honneur, se dirigent vers l’espace qui leur est autorisé. Une porte de bois de chêne doublée de sapin à deux vantaux avec guichet ouvre sur un premier passage à l’air libre, au fond duquel un hangar leur permet de s’abriter les jours de pluie. Un Suisse referme cette première porte une fois les enfants entrées. Une deuxième porte en chêne, fermée en dedans par une serrure de sûreté, est ouverte par une religieuse portière, permettant aux élèves de pénétrer dans la « cour des classes », espace fermé et séparé du reste du couvent. Les fillettes sont alors accueillies par les maîtresses qui leur ouvrent les quatre classes donnant sur cette cour. À la sortie des écolières, le processus inverse se met en place. Grâce à ce système, qui peut s’apparenter à celui d’une écluse, les écoles externes sont hors clôture.


La clôture dans les parloirs

Les parloirs, de part et d’autre de l’église, permettent à l’est aux religieuses, à l’ouest, aux pensionnaires, de recevoir des visiteurs. La clôture y est toujours de mise.


Pour rejoindre son visiteur, une religieuse, quittant une pièce communautaire ou sa cellule, parcourt une longue galerie qui ouvre sur les jardins intérieurs et sur la « cour des cuisines ». Elle entre au parloir interne. Le visiteur autorisé accède au bâtiment par la cour d’honneur, et emprunte un passage pour parvenir au parloir externe (pourvu d’une cheminée). La sœur et le visiteur sont séparés par un mur percé d’une ouverture où sont placées deux grilles, l’une en bois, l’autre en fer forgé, suffisamment espacées, empêchant tout contact entre les personnes ; de même, un « tour » permet de faire entrer ou sortir des objets de petite taille sans qu’il y ait contact direct. Deux autres parloirs identiques se trouvent à l’étage. On y accède par deux escaliers distincts, l’un pour les visiteurs, l’autre pour les religieuses. Au rez-de-chaussée, la deuxième aile du bâtiment sert au passage des objets et denrées de gros volume entre l’intérieur et l’extérieur du couvent, ce dont les tourières ont la charge. C’est par une porte charretière ouverte dans le mur de la « cour des cuisines » que les charrettes pénètrent dans l’enceinte de la clôture avec leur chargement de très gros volumes de provisions (denrées et bois).


La clôture dans l’église

Le génie de Richard Mique se dévoile notamment dans l’agencement des différents chœurs édifiés dans les parties les plus sacrées du couvent. Le plan conçu par l’architecte est unique en France. Lors des messes, le prêtre officie hors clôture, dans le chœur de l’église. Il accède à une sacristie extérieure située derrière l’autel et séparée de la sacristie intérieure où se placent les sœurs, isolées par des grilles, un « tour », une porte de chêne et les claires-voies des confessionnaux habilement implantés dans les murs. Richard Mique crée de part et d’autre du chœur de l’église deux autres chœurs en forme de rotondes, l’une pour les religieuses et l’autre pour les pensionnaires.


Les rotondes sont séparées de la chapelle par deux très grandes grilles en fer forgé doublées des mêmes grilles en bois, comme dans les parloirs. Un guichet percé dans le grillage permet de faire passer les hosties aux religieuses et aux pensionnaires au moment de l’eucharistie. Il y a douze ans, Frédéric Didier, architecte en chef des Monuments historiques était en charge de la restauration de la chapelle. Grâce à son expertise, ces grandes grilles de fer forgé de part et d’autre de l’autel et celle de la tribune dévolue initialement à la reine, située dans l’axe de l’église, ont été rétablies. Ces dernières avaient été supprimées, les ouvertures bouchées, remplacées par cinq niches qui défiguraient le plan d’origine et ne permettait plus de comprendre le fonctionnement de l’édifice.


Les rotondes, devenues voici quinze ans salles de documentation et d’informations pour les élèves du lycée, n’ont pas encore été restaurées mais la cohérence architecturale est, avec bonheur, retrouvée. L’esprit de Richard Mique règne à nouveau dans ces lieux. Son génie créateur, son souci de l’agencement des espaces, de l’harmonie des volumes et de l’esthétisme épuré du néo-classicisme naissant, sont à nouveau pleinement perceptibles dans cet édifice qui fait de l’ancien couvent de la Reine un somptueux écrin pour le joyau qu’est sa chapelle.


Nous fêtons cette année les deux cent cinquante ans de la cérémonie de clôture du couvent, où les chanoinesses entrèrent le 2 octobre 1772, après la bénédiction des lieux et la remise des clefs à la mère supérieure, avec le cachet de la communauté.


Richard Mique

Richard Mique naît en 1728 à Nancy. Son père est architecte-entrepreneur de Lunéville, aide et successeur d’Emmanuel Héré à qui l’on doit les grandes places de Nancy. Ingénieur en chef des ponts-et-chaussées de Lorraine et de Barrois, premier architecte et directeur général des Bâtiments du roi de Pologne Stanislas Leszczyński (père de Marie Leszczyńska, future reine de France), Richard Mique reconstruit les portes Saint-Stanislas et Sainte-Catherine, entrées de la ville de Nancy, et y élève pour les grenadiers de France la caserne Sainte-Catherine. En 1722, il organise à la perfection les fêtes de Nancy et de la Malgrange offertes à Mesdames Adélaïde et Victoire, alors qu’elles allaient à Plombières prendre les eaux. En récompense, le roi Louis XV le fait chevalier de l’ordre de Saint-Michel. À la mort de Stanislas Leszczynski, Richard Mique est appelé à Versailles par Marie-Leszczyńska sur les conseils de son confesseur polonais Bieganski, afin d’y construire le futur « couvent de la Reine ». Sa réputation à la cour est telle que Marie-Antoinette se l’attache par la suite et lui commande de nombreux travaux à Versailles dans ses appartements et cabinets intérieurs (salon des Nobles, Cabinet doré, cabinet de la Méridienne), ainsi qu’à Trianon (temple de l’Amour, belvédère, théâtre, Hameau) et à Saint-Cloud notamment. En 1774, Mique devient intendant et contrôleur des Bâtiments de la reine puis remplace en 1775 Ange-Jacques Gabriel comme premier architecte du roi Louis XVI. Honnête, digne de confiance, c’est aussi un homme intelligent et un grand travailleur. En 1776, il est nommé directeur de l’Académie royale d’architecture.


La Révolution lui est fatale : arrêté comme « prévenu de conspiration » pour sauver la reine, il est condamné le 7 juillet 1794 par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le surlendemain.

Richard Mique, grand défenseur du style néo-classique, puisa son inspiration dans les œuvres de la Renaissance italienne et plus particulièrement celles de l’architecte Andrea Palladio. Ses constructions témoignent de son perpétuel souci de l’adaptation de chaque édifice à son usage et de l’emploi fonctionnel en architecture.


Histoire de la clôture du couvent

Au vie siècle après J.-C., en Orient, existent des monastères mixtes d’hommes et de femmes, qui n’ont pas bonne réputation. Ainsi en 529, l’Empereur Justinien impose une stricte séparation des sexes, qui n’interdit pas aux moniales de sortir de leur couvent ou de loger à l’extérieur. C’est le souci de séparer moines et moniales qui est à l’origine de la règle de la clôture. À la même époque, en Occident, la règle ad virgines de Césaire d’Arles instaure la clôture dite « passive » qui interdit aux femmes non religieuses de pénétrer dans un monastère féminin. La clôture « active », qui interdit aux moniales de sortir du couvent, s’impose en 755 au Concile de Ver. Avec le décret Periculoso du pape Boniface VIII en 1298, la clôture devient papale et universelle : toutes les moniales devront désormais demeurer dans leur monastère sous une clôture perpétuelle (uniquement levée en cas de maladie contagieuse ou d’incendie du couvent). C’est ce que reprend le Concile de Trente au xvie siècle, avec en outre l’excommunication ipso facto de toute personne qui entrerait dans un monastère sans permission. Dans les années suivantes, les textes d’exécution du Concile vont dans le sens d’une sévérité et d’une rigidité croissantes. Toutes les femmes, quel que soit leur ordre d’appartenance, doivent prononcer des vœux solennels et entrent dans leur couvent ad vitam aeternam. Au xviiie siècle, les restrictions s’appliquent même aux visiteurs : double grille au parloir, religieuse voilée. Est excommuniée ipso factotoute moniale qui sortirait du couvent sans permission, ainsi que ceux qui l’accueilleraient en dehors du couvent. Jusqu’au début du xxe siècle, les règles de la clôture sont de plus en plus contraignantes : les religieuses ne doivent ni être visibles de l’extérieur, ni rien voir elles-mêmes : les vitres deviennent opaques, les grilles du parloir sont scellées dans le mur.


Le concile de Vatican II, dans le décret Perfectae Caritatis de 1965, réduit le champ d’application de la stricte clôture papale : « La clôture papale pour les moniales de vie uniquement contemplative sera maintenue, mais une fois recueillis les avis des monastères eux-mêmes, on l’adaptera aux circonstances de temps et de lieu, supprimant les usages désuets. » Cet assouplissement est confirmé en 1983 dans le nouveau code de droit canon : toute communauté religieuse doit simplement posséder un « espace réservé » tenant compte du caractère et de la mission particulière de l’institut religieux.


Depuis l’origine, le but de la clôture est la séparation entre le monde extérieur jugé impur et dangereux, et le monde intérieur proche du divin. Elle est en cela une protection et une sécurité et permet de créer un lieu de rencontre privilégié avec Dieu. La barrière physique de la clôture matérielle est aujourd’hui, probablement, à mettre au second plan par rapport à la clôture spirituelle. C’est le cloître intérieur qui compte. La séparation du monde profane et du monde sacré doit toujours être présente chez les religieux de vie apostolique, même de manière différente. Saint Vincent-de-Paul s’adressait déjà en ces termes aux filles de la Charité : « Vous aurez pour monastère les chambres des malades, pour cloître les rues de la ville, pour grille la crainte de Dieu, pour voile la sainte modestie. »


Les festivités du deux-cent cinquantième anniversaire de la clôture du couvent de la Reine

Il est apparu opportun à la direction du lycée Hoche et à l’Association du Musée Historique du lycée Hoche de célébrer, durant l’année scolaire 2022-2023, le deux cent cinquantième anniversaire de la clôture du couvent de la Reine (effectuée en octobre 1772), de l’arrivée des pensionnaires (janvier 1773) et de l’ouverture des « petites écoles externes » (juillet 1773). Les élèves du lycée ont pu ainsi découvrir en profondeur l’origine de leur établissement grâce à des visites de la chapelle et des bâtiments conventuels. Un laurier a été planté pour l’occasion le vendredi 18 novembre dernier en face des anciennes « écoles externes » ; il symbolise la réussite et la distinction des écolières et des pensionnaires dont l’éducation était prise en charge par les sœurs augustines au xviiie siècle, ainsi que de tous les élèves du lycée Hoche depuis son ouverture en 1807. Un cycle de conférences inédites a été organisé et des visites générales et approfondies conduites par les membres de l’Association du musée sont proposées gratuitement à toute personne qui le souhaite. Informations : www.amismuseehoche.fr.

 
 
 

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