La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne Olympe de Gouges versus Marie-Antoinette
- mikaelamonteiro11
- Apr 6, 2024
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Olympe de Gouges, femme de lettres partisane de la Révolution, et Marie-Antoinette, reine de France figure de l’Anti-Révolution, auront eu au moins un point commun : celui d’être condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire – la reine le 16 octobre 1793, Olympe de Gouges le 2 novembre. Deux ans plus tôt, cette dernière écrit, signe et diffuse une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qu’elle dédicace, en rhétoricienne (im)pertinente, à Marie-Antoinette.
Par Cécile Berly, historienne

En cet automne 1793 où la Terreur règne même si elle n’a jamais été votée, les femmes sont les boucs émissaires d’une politique qui ne se contente plus de dénoncer l’ennemi par le seul verbe. Le 30 octobre, la Convention interdit aux femmes de se réunir et ferme les clubs féminins. Il y a la volonté de leur interdire toute place dans l’espace public. Celles qui s’y sont hasardées sont considérées comme dénaturées, comme des femmes dangereuses, vicieuses, prêtes à tout pour que la Révolution s’effondre. Si cette dernière accorde des droits civils aux femmes, jamais l’Assemblée ne débat à propos de leurs droits politiques.
Un manifeste féministe avant la lettre
Le 14 septembre 1791, le roi Louis XVI prête enfin serment à la Constitution dont le préambule est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, votée par l’Assemblée nationale le 26 août 1789. Le même jour, la femme de lettres Olympe de Gouges rend publique sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Ce texte, diffusé sous la forme d’une brochure, est très structuré. Après une longue dédicace à Marie-Antoinette, parce qu’elle est désormais la reine des Français et des Françaises, l’auteure apostrophe l’homme à propos des droits de la femme. S’ensuit la Déclaration en elle-même qui, logiquement, commence par un préambule suivi de dix-sept articles et d’un postambule. La brochure se termine par un Contrat social de l’homme et de la femme, qu’Olympe de Gouges propose à la place du mariage (religieux et/ou civil). Veuve depuis ses dix-huit ans, elle est fondamentalement opposée au mariage qu’elle considère comme le « véritable tombeau de la confiance et de l’amour ». Elle a vécu son veuvage comme une libération : celle de ne plus être aliénée à un mari plus âgé, probablement violent et ne partageant aucun de ses goûts. En outre, seul son veuvage lui garantit de pouvoir s’accomplir dans les lettres. La société d’Ancien Régime autorise les seules veuves à signer et imprimer leur littérature alors que les femmes mariées ne peuvent le faire sans une autorisation écrite de leur mari. Olympe de Gouges sera l’une des premières voix féminines à prôner l’union libre.
Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges revendique l’égalité des droits civils et politiques entre les hommes et les femmes. À plus d’un titre, ce texte est fondateur de ce que l’on appellera, environ un siècle plus tard, le féminisme. Jusqu’à ce mois de septembre 1791, la Révolution n’a que peu œuvré en faveur des femmes et de leurs droits. Cependant, elles ont d’ores et déjà acquis quelques droits civils : les vœux religieux ont été abolis, ce qui rend caduque la voilure forcée, et dans les successions, le partage des biens est désormais égal entre les héritiers. À ces droits âprement défendus par Olympe de Gouges dans certains de ses textes dramatiques ou politiques, elle ajoute celui du divorce qu’elle considère comme fondamental. Avant sa Déclaration, elle le traite une première fois dans une pièce de théâtre, La Nécessité du divorce, écrite au tout début de l’année 1790. En février 1792, dans les rues de Paris, elle placarde une affiche, Le Bon Sens du Français, dans laquelle elle défend le divorce, en particulier pour les femmes victimes de violences conjugales. La loi sur le divorce par consentement mutuel sera votée le 20 septembre suivant. Pour protéger les femmes divorcées et leurs enfants, elle est la première à suggérer l’instauration d’une pension alimentaire.
À la Reine
Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges confronte la Révolution, ainsi que la société dans son ensemble, à toutes ses contradictions. Sa Déclaration, pastiche de celle votée en août 1789, met à mal l’idée que ces droits ne sont en aucun cas universels. Comment parler d’universalité sans égalité réelle entre les hommes et les femmes ? Comment considérer ces droits comme inaliénables dans la mesure où ils sont refusés aux femmes ? Si Olympe de Gouges dédicace cette brochure à Marie-Antoinette, qu’elle déteste pourtant, c’est pour mieux insister sur l’universalité de ce combat. À celle qui est désormais la reine des Français, encore considérée, bien que détestée, comme une figure maternelle pour le peuple de France, à celle qui serait la seule femme capable d’agir dans le débat public en faveur des siennes. Parce qu’elle est la femme du roi, il lui serait possible de défendre la cause des femmes au plus haut sommet de l’État, d’exercer une influence enfin bienveillante en faveur d’un combat juste, vertueux et même glorieux. En somme, Olympe de Gouges propose à Marie-Antoinette de racheter sa conduite de reine scélérate, honnie par l’opinion publique depuis des années. Défendre les droits des femmes pour réhabiliter sa propre conduite, sa réputation gâchée en dépenses somptueuses, en complots pour régner à la place du roi ou pour précipiter le royaume dans la guerre.
On ignore si le texte de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est parvenu jusqu’à la reine. Si oui, l’a-t-elle lu de façon attentive ou parcouru avec condescendance ? Si Marie-Antoinette a toujours été très attachée à sa propre liberté de femme, la question des droits des femmes lui est totalement étrangère. Sa culture politique est celle de l’absolutisme. Implicitement, elle reconnaît une hiérarchie d’ordre divin entre les ordres sociaux, entre les dominants et les dominés, entre les hommes et les femmes. Elle exècre cette Révolution qui est en marche. Elle ne peut ni ne veut en comprendre les valeurs comme les libertés d’opinion ou d’expression ; l’égalité, l’universalité et la fraternité sont des idées subversives, défendues par les factieux. À ses yeux, il n’y a pas de citoyens et de citoyennes, mais des sujets. Seul le roi est garant de l’ordre politique et social. En sous-main, elle œuvre à la destruction de la Révolution. Détruire pour ne pas être, à son tour, détruite.
Dès le printemps 1789, Olympe de Gouges s’installe à Versailles pour suivre l’ouverture des États généraux puis les débats de l’Assemblée constituante, et ce jusqu’au départ de la famille royale du château, après les sanglantes journées des 5 et 6 octobre. Dans ses écrits, elle condamne avec force la violence populaire et, en particulier, celle des femmes. Elle juge inacceptable celle dont la reine a été l’objet, qu’elle soit verbale ou physique. Si Olympe de Gouges fait sienne la Révolution, elle n’a de cesse de dénoncer l’usage de la violence à des fins politiques. Elle est une révolutionnaire restée fidèle à la monarchie, une modérée qui, au fil des mois, se rapproche des Girondins. En mai 1791, Olympe de Gouges écrit et diffuse une Adresse à la reine, précédée d’une adresse au roi Louis XVI et suivie d’une autre au prince de Condé, l’un des chefs de la Contre-Révolution armée en Europe. Dans cette adresse, rédigée comme une mise en garde, Olympe de Gouges tente de la convaincre de ne trahir en aucun cas la Révolution car il en va de la survie même de la monarchie. En vain. La fuite arrêtée à Varennes, au cours de la troisième semaine du mois de juin, largement pensée et organisée par la reine, est vécue comme une trahison impardonnable par celle qui se présente comme « la plus ardente Patriote royaliste, à la vie et à la mort ».
Patriote et royaliste
Patriote et royaliste, elle le sera assurément jusqu’à la chute de la monarchie, au mois d’août 1792. Suite à l’assassinat du maire d’Étampes, André Simonneau, par une foule manifestant contre la cherté des subsistances et la rareté du grain, l’Assemblée législative décide de lui rendre des honneurs funèbres transformés en fête de la Loi, qui aura lieu le 3 juin 1792. Olympe de Gouges, accompagnée de trois citoyennes, se présente à la barre de l’Assemblée pour y lire une pétition réclamant que les femmes puissent enfin participer aux fêtes célébrant la Nation. Cette initiative est quasi unanimement applaudie. Chargée de l’organisation du cortège des femmes, elle ouvre une souscription pour financer les tenues blanches et les coiffures tressées de chêne portées par des citoyennes. Elle sollicite la générosité de la reine en lui faisant parvenir une lettre par l’intermédiaire de sa surintendante, la princesse de Lamballe. Marie-Antoinette prélève 1 200 livres sur la cassette royale pour les remettre aux organisateurs de la fête de la Loi. Elle en aurait profité pour tenter de s’attacher secrètement les services de cette Olympe de Gouges dont elle entend beaucoup parler, à défaut de la lire.
La monarchie renversée, la famille royale emprisonnée, Olympe de Gouges publie une lettre datée du 16 décembre 1792, qu’elle fait ensuite placarder dans les rues de Paris, dans laquelle elle propose de seconder Malesherbes pour défendre devant la Convention Louis Capet, l’homme et non pas le roi-traître. Par cette proposition courageuse et généreuse – Olympe de Gouges est résolument opposée à la peine de mort – elle s’attire aussi bien les foudres de ceux qui affirment que le roi doit mourir pour que la Révolution puisse vivre, que de tous ceux, innombrables, qui la considèrent comme hystérique, virago, dénaturée parce que voulant « politiquer ».
Une fin tragique
À l’automne 1791, la réception de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est quasi nulle. Rares sont les voix à défendre les droits des femmes. L’année précédente, Condorcet publie l’Essai sur l’admission des femmes au droit de cité. En Allemagne, Théodore von Hippel diffuse de telles idées, tandis que Mary Wollstonecraft, depuis l’Angleterre, rédige l’un des textes fondateurs du féminisme, Vindication of the Rights of Women, traduit en français en 1792. Dans la logique d’Olympe de Gouges, Marie-Antoinette devient, en quelque sorte, une figure au service de sa rhétorique. La reine est le contre-exemple de ce que les femmes ne doivent et ne peuvent plus être en temps de révolution : des femmes d’influence grâce à leur pouvoir de séduction, au profit de leurs seuls intérêts et de leur coterie. Quand Olympe de Gouges rédige sa Déclaration, cela fait bientôt dix ans que Marie-Antoinette n’est plus que la mauvaise reine, la mauvaise femme, la mauvaise mère. La première incarne une Révolution progressiste, humaniste et modérée, tandis que la seconde ne peut défendre qu’une position ultra conservatrice. Toutes deux sont moquées, avilies, vilipendées : l’une parce qu’elle a la prétention d’avoir des idées, de les écrire, de les signer et de les faire lire ; l’autre, parce qu’elle est reine d’un monde en passe d’être révolu.
Cependant, à l’automne 1793, elles vont toutes deux connaître une fin tragique. L’expérience carcérale, un procès inique et expéditif, une exécution publique. Olympe de Gouges et Marie-Antoinette donnent, bien malgré elles, tout son sens à ce passage le plus connu de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, extrait de l’article x : « La Femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la tribune. » En leur coupant la tête, la Révolution leur a coupé la parole.
Et aux révolutionnaires de s’en réjouir comme on peut le lire dans le journal Le Moniteur universel, au mois de novembre 1793 : « En peu de temps le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera sans doute pas perdu pour elles : car la justice, toujours impartiale, place sans cesse la leçon à côté de la sévérité. Marie-Antoinette, élevée dans une Cour perfide et ambitieuse, apporta en France les vices de sa famille. Elle sacrifia son époux, ses enfants et le pays qui l’avait adoptée aux vues ambitieuses de la Maison d’Autriche… Elle fut mauvaise mère, épouse débauchée… et son nom sera à jamais en horreur à la postérité. Olympe de Gouges, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle voulut être homme d’État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. »
Extraits de la dédicace À la Reine de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
« Madame,
Peu faite au langage que l’on tient aux Rois, je n’emploierai point l’adulation des Courtisans pour vous faire hommage de cette singulière production. Mon but, Madame, est de vous parler franchement ; je n’ai pas attendu, pour m’exprimer ainsi, l’époque de la liberté : je me suis montrée avec la même énergie dans un temps où l’aveuglement des despotes punissait une si noble audace.
Lorsque tout l’Empire vous accusait et vous rendait responsable de ses calamités, moi seule, dans un temps de trouble et d’orage, j’ai eu la force de prendre votre défense. […] Qu’un plus noble emploi, Madame, vous caractérise, excite votre ambition, et fixe vos regards. Il n’appartient qu’à celle que le hasard a élevée à une place éminente, de donner du poids à l’essor des Droits de la Femme, et d’en accélérer les succès. […] Soutenez, Madame, une si belle cause ; défendez ce sexe malheureux, et vous aurez bientôt pour vous une moitié du Royaume, et le tiers au moins de l’autre. »
Extraits du postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
« Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. […] Opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; […] Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. […]
Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis : elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, pontificat (M. de Bernis, de la façon de Mme de Pompadour), cardinalat : enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la Révolution, respectable et méprisé. […] »
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