L’infante Marie-Anne-Victoire la petite fiancée de Louis XV
- mikaelamonteiro11
- Mar 30, 2024
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L’infante Marie-Anne-Victoire (1718-1781) est la fille de Philippe V d’Espagne et de sa seconde épouse Élisabeth Farnèse. Elle est fiancée à son cousin germain, Louis XV, de huit ans son aîné. Élevée à la cour de France, elle reçoit tous les honneurs d’une reine. Mais en février 1725, à la suite d’une maladie du roi – où on mesure l’urgence de le marier –, elle est renvoyée à Madrid. Marie-Anne-Victoire est peu connue en France. Les diaristes ont certes relaté les festivités relatives à son entrée à Paris mais les témoignages sur sa personnalité et sa vie quotidienne à la cour sont peu nombreux. Ce silence s’explique en partie par l’absence d’intérêt porté à la petite enfance dans la société du début du xviiie siècle. L’existence de l’infante est sortie de l’oubli grâce au roman de Chantal Thomas, L’échange des princesses, en 2013 et au film éponyme de Marc Dugain en 2017. L’exposition « Louis XV, goûts et passions d’un roi », présentée au château de Versailles du 18 octobre 2022 au 19 février 2023, nous donne l’occasion de revenir sur le destin contrarié de cette princesse.
Par Marine Masure-Vetter, chargée d’études documentaires au château de Versailles

En février 1720, l’Espagne a rejoint la Quadruple-Alliance formée par l’Angleterre, la France, les Provinces-Unies et l’Empire, garantissant ainsi une paix relative en Europe. Dès lors l’inimitié entre Philippe V et le Régent Philippe d’Orléans se dissipe au profit de nouveaux accords. Le Régent, conseillé par le cardinal Dubois, ministre des Affaires étrangères, feint de donner au roi d’Espagne l’initiative d’une double union matrimoniale. L’infante Marie-Anne-Victoire (trois ans) est promise à Louis XV (onze ans). En parallèle Louis, prince des Asturies et héritier du trône (quatorze ans) doit épouser Louise-Élisabeth dite Mlle de Montpensier (douze ans), fille du Régent. Une troisième union sera engagée en mars 1722 entre Don Carlos (six ans) et Philippine-Élisabeth d’Orléans dite Mlle de Beaujolais (huit ans).
Négociations et voyage vers la France
Le 14 septembre 1721, le Régent entre dans le cabinet du Roi aux Tuileries pour lui dévoiler ce projet, en présence du duc de Bourbon (surintendant de l’Éducation du roi), d’André-Hercule de Fleury (précepteur du roi) et du maréchal de Villeroy (gouverneur du roi). À l’issu d’un pénible débat à huis clos, le jeune garçon, résigné, accepte et annonce la nouvelle lors du Conseil de Régence qui s’ouvre aussitôt, avec des yeux encore gonflés par les larmes. La rumeur se répand dans tout Paris mais, pour ménager les esprits, seul le projet d’union entre l’infante et le roi est annoncé dans un premier temps. En élevant sa fille au rang de future reine d’Espagne et en repoussant à de nombreuses années la naissance d’un dauphin en France, le Régent est le grand gagnant de cette alliance qui ne fait pas l’unanimité. Le duc de Noailles, qui prédit à la princesse de Carignan que le « mariage de l’Infante finira comme le système de Law » est écarté de la cour.
Le duc de Saint-Simon part à Madrid, en qualité d’ambassadeur extraordinaire, pour demander la main de l’infante. Le 14 décembre 1721, la jeune princesse quitte ses parents. Louis XV, sans doute plus intéressé par la géographie que par sa promise, suit l’itinéraire que parcourt l’infante entre Madrid et Irun sur une grande carte réalisée spécialement à cet effet. De son côté Mademoiselle de Montpensier a quitté Paris le 18 novembre 1721. Les princesses voyagent en plein hiver. Le 9 janvier 1722, à midi, on procède à l’échange des princesses dans l’île des Faisans en tentant de reproduire le cérémonial qui avait servi pour la reine Marie-Thérèse en 1661. Selon l’usage, elles sont séparées de leurs suites lors de leur passage au milieu de la Bidassoa. Marie-Anne-Victoire est privée de sa domesticité, à l’exception de sa gouvernante espagnole doña Maria de Nieves.
Les festivités de l’entrée de l’infante à Paris
À Paris, les préparatifs pour l’arrivée de l’infante perturbent le Carême. On ne songe qu’à danser et à faire des réjouissances. Le roi, mal à l’aise et « rouge comme une cerise », accueille sa fiancée à Bourg-la-Reine le 2 mars 1722. Selon la tradition, elle fait seule son entrée dans la capitale. La foule découvre la petite princesse qui se tient dans son carrosse sur les genoux de sa gouvernante, Mme de Ventadour. Des bals officiels sont donnés aux Tuileries et à l’Hôtel de Ville. Un Te Deum est chanté à Notre-Dame où le roi est superbement vêtu d’un habit de velours lilas, couvert de pierres. Sur le nœud d’épaule, il porte le gros diamant le Régent acheté par la Couronne en 1717 et le Sancy orne son chapeau. Malgré l’éclat des parures, on trouve que le roi a un très mauvais visage et qu’il est bien pâle, on prétend qu’il n’aime pas sa petite infante et toutes ces fêtes le chagrinent. L’adolescent est conscient que, par cette union, il reste dépendant du duc d’Orléans pour de longues années encore. Analysant cyniquement sa situation, il fait remarquer au jeune duc de Boufflers qui vient de se marier : « J'ai aussi présentement une femme, mais je ne pourrai coucher de longtemps avec elle. » De son côté, la petite princesse fait de son mieux pour remplir ses obligations et plaire à son roi. Son titre « d’Infante-reine » souligne la place singulière qu’elle occupe à la cour. Le duc de Saint-Simon pointilleux sur les questions d’Étiquette commente ainsi son rang : « L’Infante était fille de France comme fille du roi d’Espagne, et cousine germaine du roi, enfants des deux frères (1), et destinée à l’épouser. Ces titres emportaient assez d’honneur pour s’y tenir, sans y ajouter encore presque tous ceux des reines, qu’elle ne devait pas avoir, et qui étaient contre tout exemple et toute règle. » Le point d’orgue des festivités de cette « entrée » est donné le 24 mars par le duc d’Ossone, ambassadeur du roi d’Espagne lors d’une fête nocturne sur la Seine.
« J’ai les plus jolies choses du monde »
En mars 1722, le roi reste logé aux Tuileries. Sa fiancée échappe de peu aux recommandations austères du duc de Saint-Simon qui voulait l’envoyer au Val-de-Grâce en préconisant : « ni chevaux, ni carrosses, ni gardes, ni quoi que ce soit ; une ou deux fois l’année une visite du roi d’un quart d’heure. » L’infante et sa suite sont installées au Louvre, dans l’appartement d’été occupé autrefois par Anne d’Autriche, au rez-de-chaussée de la Petite Galerie. Jusqu'à la Révolution, ce corps de bâtiment de la Petite Galerie conservera son appellation de : « pavillon de l'Infante ». L’Académie royale de peinture et de sculpture, installée dans ces lieux depuis 1692, avait été contrainte de les libérer dès le 22 novembre 1721. De nouveaux agencements et décorations sont réalisés. Le nouveau jardin aménagé alors garde aujourd’hui encore le nom de « jardin de l’Infante ». Les meubles de l’appartement ainsi rénovés ont été livrés dès le 21 février 1722, ils sont couverts de damas cramoisi, orné de passementerie d’or. Une magnifique argenterie de chapelle, gravée des armes de France et d’Espagne, est livrée ainsi qu’une vaisselle d’argent. Deux toilettes d’apparat en vermeil, d’une rare magnificence, sont fournies. L’une datant du règne de Louis XIV est mise à sa disposition à son arrivée en France, la seconde est créée spécialement pour elle par Besnier en mars 1722, à l’exception du miroir livré par Delaunay le 6 juillet 1724. Elle comprenait notamment « une cuvette en forme de nef ciselée d’oves et ornements ayant à chaque bout une tête de relief, représentant un vent et par leurs côtés deux coquilles » semblable à celle de la duchesse d’Orléans actuellement conservée au musée du Louvre (2).
L’installation de la princesse est à peine achevée que l’on parle déjà d’un prochain déménagement de la cour à Versailles.
Louis XV s’établit le 15 juin 1722 dans le château de son bisaïeul et y installe l’infante deux jours après, dans l’appartement de la Reine. Pour la protéger du froid et des vents coulis, le concierge de Versailles fait accrocher des rideaux « en paillassons » (3) dans le bas des fenêtres. L’étude du Journal du Garde-Meuble prouve l’attention portée aux soins, à l’éducation et aux divertissements de la petite fiancée du roi. Son ameublement est adapté à sa taille d’enfant, c’est ainsi qu’un « petit escalier de bois de sapin en manière de marchepied, couvert de damas rouge » est placé dans la chambre de la reine pour aider « Madame Infante, à monter sur son lit », de même, un petit tabouret de pied est disposé dans « la niche de la tribune de la chapelle ». Le 16 juillet 1722, l’ameublement de son appartement est complété de deux commodes et d’une petite table en noyer ayant un tiroir et une tablette, probablement à l’usage de ses temps d’étude. Un service d’or et de vermeil est fourni pour les « collations des promenades ». Une table en merisier garnie d’un velours vert est destinée à son jeu de biribi et un billard en chêne est fabriqué pour elle.
Marie-Anne-Victoire assure à ses parents qu’elle possède « les plus jolies choses du monde ». Elle ajoute : « Les poupées ne me manquent pas, je voudrais que vous puissiez voir leurs jolis ameublements. » En effet, le roi lui en a offert une d’une valeur de 20 000 livres et la duchesse d’Orléans une autre avec sa garde-robe d’un montant de 22 000 livres. Elle dispose par ailleurs d’une calèche pour parcourir les appartements de Versailles. Notons que son père l’a dotée d’un fastueux trousseau constitué de nombreux bijoux dont « une grande attache en forme de grand cœur, composé de vingt-neuf diamants brillants » … et d’une riche garde-robe garnie de neufs habits de cour, de six habits de chambre, de quatre habits de chasse et de robes « à peigner », complétée d’une multitude de jupons de satin, de mantilles et mantes, de pièces d’étoffes, de bas assortis aux habits, de souliers, de diverses chemises, de mouchoirs, de rubans en or, argent, soie…. Enfin, de son futur époux, elle a reçu des bijoux en diamant estimés à 155 439 livres. Philippe V continuera d’envoyer des cadeaux à sa fille, tel ce lingot d’or brut en provenance de l’Empire espagnol, qui lui est adressé en 1724.
Sa Maison à la Cour de France
La « Maison » de l’infante, c’est-à-dire son entourage étroit, est composé de titulaires ayant eu une charge auprès du jeune Louis XV avant qu’il ne passe « sous la main des hommes » à l’âge de sept ans. C’est le cas de Charlotte-Éléonore de la Mothe-Houdancourt, duchesse de Ventadour, gouvernante des enfants de France, qui reprend du service. Mme de la Lande et Mme de Villefort, sous-gouvernantes reprennent leur même emploi. Quant à Marie-Madeleine Mercier (qui avait été nourrice du roi) elle devient première femme de chambre. Selon l’État de la France de 1722, on note que la princesse dispose de vingt-deux femmes de chambre, d’une blanchisseuse et d’une empeseuse. Ce personnel nécessite notamment la livraison de quarante-huit paires de draps pour les femmes de chambre, de quatre paires de draps de toile de Hollande pour les sous-gouvernantes ou encore de douze tabliers pour la coiffeuse lors de l’installation de la cour à Versailles. Parmi les « officiers ordinaires », on relève la présence d’un secrétaire de cabinet, d’un instituteur (M. Perrot, qui a eu le même emploi pour le roi), d’un intendant, d’un premier médecin, d’un premier chirurgien, d’un apothicaire, d’un maître à danser, d’un maître à écrire ... Il est difficile de dénombrer l’ensemble des titulaires puisque des officiers de la Maison du roi « servent aussi chez Madame Infante ».
Éducation et divertissements
La petite princesse passe son temps entre instruction et divertissements. Elle maîtrise déjà bien le français, elle apprend l’alphabet et des leçons d’écriture sont programmées. Elle étudie la géographie, s’applique à jouer parfaitement à la petite reine. S’adressant aux ambassadeurs revenant du sacre en 1722, elle déclare : « Je vous parlerai en trois points : le premier, que je suis fort aise de vous voir, le second, que je serai plus aise de voir le Roi ; le troisième, que je ferai tout ce que je pourrai pour lui plaire et mériter son amitié. Elle avait entendu, quelques jours auparavant, un sermon en trois points qui lui donna cette idée. »
Diverses visites occupent ses journées. L’infante est conduite à l’Hôtel de la Monnaie où elle y voit frapper des médailles ayant pour sujet son entrée. Elle se rend dans la Maison d’éducation de Saint-Cyr où elle sert les demoiselles au souper. Elle est menée au château de Madrid « à cause du nom ». Au château de la Muette, les activités sont variées : déjeuners en présence de courtisans, observation d’oiseaux, apprentissage de la traite des vaches et du battage du beurre… Au château de Saint-Cloud, elle rend régulièrement visite à la princesse Palatine. Les soirées sont occupées par des jeux de cartes (quadrille, lansquenet…) et des loteries sont organisées pour elle. La petite princesse n’aime guère les opéras qui sont trop longs, les feux d’artifices la lassent et elle s’endort lors des bals. Marie-Anne-Victoire apprécie Versailles. Elle écrit : « le Roi se divertit ici à merveille. La chasse l’occupe beaucoup, pour moi quand je n’y vais pas, je m’amuse fort agréablement » ; « ici tout me ravit » ajoute-t-elle et Mme de Ventadour ne manque pas de lui montrer dans les appartements du château les portraits représentant son père lorsqu’il était encore duc d’Anjou.
On ne lui connaît pas d’enfants de son âge dans son entourage, mis à part les filles du Régent. Consciente de son rang, l’infante n’hésite pas à les diriger, bien qu’elle soit plus jeune qu’elles. Le jour de son entrée à Paris, en les saluant en fin de soirée, elle les embrasse et leur dit « Petites princesses, allez dans vos maisons, et venez avec moi tous les jours »mais Marie-Anne-Victoire souffre parfois des farces des seigneurs qui forment la société de Louis XV, elle pleure toutes les fois qu’elle voit M. de Pezé, qui avait poussé trop loin une plaisanterie en lui volant ses bijoux.
Elle assiste à des réceptions officielles et prend l’habit de cour dès août 1722. Néanmoins, elle ne participe pas au sacre de Louis XV à Reims (peut-être à la demande du roi).
« Le roi n’aime point sa petite Infante »
Le roi se montre renfrogné en sa présence. Serait-il contrarié de devoir partager les acclamations avec cette enfant qui charme tout le monde allant même jusqu’à gagner la tendresse de « Maman Ventadour » ? Le mutisme du roi est mêlé d’indifférence. On lui fait croire que le silence est chez lui une marque d’affection. C’est pourquoi l’infante dit au maréchal de Villeroy : « il faut que le roi vous aime bien, car il ne vous dit rien. »
Lorsque la princesse tombe malade le 28 décembre 1723, on craint une variole qui ne sera en fait qu’une rougeole mais qui permet au roi de passer la fin d’année à Trianon et à Marly, loin de sa fiancée.
Revirements diplomatiques
Le duc de Bourbon, chef de clan des Condés, est devenu principal ministre à la mort de son rival le Régent. Il projette dès lors de découdre les alliances de 1721-1722. En Espagne aussi la situation a évolué. Philippe V a abdiqué en faveur de son fils le prince des Asturies, âgé de seize ans. Monté sur le trône sous le nom de Louis Ier, le jeune roi est emporté par la variole le 31 août 1724. La décision de renvoyer la petite infante en Espagne, où Philippe V règne à nouveau, est prise pendant l’hiver 1724 mais le projet reste confidentiel. La situation bascule en février 1725 à la suite d’une maladie anodine du roi où le duc de Bourbon mesure le risque de voir le clan Orléans récupérer la couronne si Louis XV venait à mourir sans enfant. L’âge de l’infante devient un problème qu’il convient de régler au plus vite en trouvant une reine qui pourrait enfanter.
En France, on mesure et on assume l’incident diplomatique qui reste contenu mais on est surpris par la rapidité de la réponse espagnole. Le 9 mars 1725, l’abbé de Livry, envoyé spécialement à Madrid, présente la nouvelle aux souverains qui rompent immédiatement toute relation avec la France. La veuve de Louis Ier est renvoyée sur le champ ; sa sœur, promise à Don Carlos est aussi priée de partir. Des négociations sont immédiatement conduites entre Madrid et Lisbonne pour marier Marie-Anne-Victoire à Joseph, prince du Brésil, héritier du trône portugais et réciproquement Ferdinand, prince des Asturies, avec l’une des filles de Jean V du Portugal.
Le départ de l’infante
Marie-Anne-Victoire ignore tout. Elle participe sereinement au premier séjour de la cour à Fontainebleau du 23 août au 30 novembre 1724, s’y amuse beaucoup, notamment lors des comédies italiennes. Personne ne dit la vérité à la petite fille. Pour justifier son voyage vers Madrid on lui explique que ses parents souhaitent la voir. Annoncé vers le 17 mars 1725, le départ de l’infante a lieu le 5 avril. Le roi s’absente lâchement à Marly et ne lui fait pas ses adieux. Quant à Mme de Ventadour, elle prétexte un voyage trop long pour son âge et reste à Versailles en retenant ses larmes. Elle laisse le soin à sa petite-fille, la duchesse de Tallard, de reconduire la princesse en Espagne. Une suite de deux cents personnes les accompagne. Pour éviter le souvenir de son premier voyage, elle passe la frontière à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 16 mai, elle est remise aux envoyés de Philippe V qui prennent le soin de récupérer tous les présents faits à la princesse : bijoux, toilette d’argent… tout, jusqu’aux poupées !
Épilogue
Dès le renvoi de Marie-Anne-Victoire, le mariage de Louis XV avec Marie Leszczyńska, fille du roi détrôné de Pologne, est annoncé. L’opinion publique s’indigne de cette mésalliance et regrette déjà la petite infante.
Les filles du duc d’Orléans reviennent vivre à Paris. La cadette, Philippine-Élisabeth, meurt à l’âge de vingt ans en 1734. Louise-Élisabeth, étroitement surveillée par le roi d’Espagne qui contrôle à distance sa « Maison », sera condamnée à vivre son veuvage le reste de sa vie au Palais du Luxembourg jusqu’à sa mort en 1742, à l’âge de trente-trois ans.
Marie-Anne-Victoire sera bien reine. Philippe V répare l’affront de la France en célébrant, le 19 janvier 1729, le mariage de sa fille avec le prince du Brésil, qui devient roi du Portugal sous le nom de Joseph Ier en 1750. Mme de Ventadour continuera à écrire de longues lettres à sa petite princesse, qui cesse cependant très vite de les ouvrir. Au Portugal, cette dernière laissera le souvenir d’une souveraine aux grandes qualités, passionnée de musique mais dépourvue de rôle politique. En 1755, elle sera nommée marraine de Marie-Antoinette, future reine de France.
Plusieurs sources considèrent que Marie-Anne-Victoire éprouva jusqu’à sa mort un profond ressentiment envers la France. D’après Jean-François de Bourgoing (secrétaire de la délégation française en Espagne, qui la rencontra en 1778), elle garda en mémoire les moindres détails de son séjour à Versailles. Au bout de cinquante-cinq ans, elle se souvenait des statues du jardin, des allées du parc… comme elle pouvait le faire au lendemain de son départ.
1• Le duc d’Anjou monte sur le trône d’Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V. Il est le frère cadet du duc de Bourgogne (père de Louis XV), tous deux petits-fils de Louis XIV et fils du Grand Dauphin.
2• L’auteur remercie vivement Yves Carlier pour cette information. Voir article à paraître, « La gestion de l’apparat : l’orfèvrerie au sein du Garde-Meuble de la Couronne en France au xviiie siècle » in actes du colloque international : L’histoire du Garde-Meuble en Europe (xvie-xxie siècles). Paris, Mobilier national, 16 au 18 octobre 2019
3• « Sorte de paillasse plate et piquée, entre deux coutis, qu’on met au-devant des fenestres, pour garantir une chambre du soleil. Mettre des paillassons devant des fenestres » (Dictionnaire de l’Académie française, 2e édition, 1718, p. 190).
Portrait moral et physique
On dispose de peu de témoignages sur le portrait moral et physique de l’infante. Le duc de Saint-Simon la dépeint brièvement lorsqu’il la rencontre à Madrid. Elle est « charmante, avec un petit air raisonnable et point embarrassé ». En mars 1722, Le Mercure la décrit en des termes flatteurs : « elle est vive et parle fort bien Français et d’une voix assurée, son visage est très gracieux ; tous ses traits sont aussi réguliers que fins et délicats, elle est blonde et extrêmement blanche. » Pour la connaître mieux, il faut lire la correspondance de la princesse Palatine : « [l’infante]charme toute la France par son esprit, sa grâce et ses jolies manières. […] Notre petite Infante est sans contredit la plus jolie enfant que j’ai vue de mes jours. Elle a plus d’esprit qu’une personne de vingt ans, et avec cela elle conserve l’enfance de son âge : cela fait un très plaisant mélange… » Jouant avec une poupée ayant l’apparence d’un petit dauphin, elle avoue malicieusement à la princesse Palatine : « Je dis à tout le monde que cette poupée est mon fils, mais à vous, Madame, je veux bien dire que ce n’est qu’un enfant de cire. »
Trois portraits
Trois portraits de l’infante, par le peintre Alexis-Simon Belle, sont conservés au château de Versailles. L’un est réalisé vers 1723. Marie-Anne-Victoire y figure en petite fille potelée, accoudée à un bassin dans les jardins de Versailles devant l’enlèvement de Proserpine de Girardon. Le deuxième est commandé à l’artiste par la direction des Bâtiments du roi, en 1724. Initialement de forme rectangulaire, la composition conserve néanmoins ses trois personnages : le roi est représenté devant le médaillon de l’infante au bas duquel se trouve un Amour tenant une palette, rappelant que les projets de mariage donnaient lieu à des échanges de portraits. Cette œuvre est à mettre en parallèle avec le double portrait réalisé en 1723 par Jean-François de Troy, conservé au Palais Pitti à Florence (présenté dans l’exposition « Louis XV, passions d’un roi »). Le troisième portrait de l’infante est exécuté avant le 5 avril1725, date de son retour en Espagne. Elle est présentée debout, vêtue d’une robe bleue ornée de galons d’argent et une couronne de fleurs à la main. Cette représentation est à mettre en regard avec le portrait réalisé par Nicolas de Largillière, conservé au musée du Prado à Madrid (présenté aussi dans l’exposition).
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