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Jacques II un roi sans royaume à Versailles

Jacques II Stuart fut roi de Grande-Bretagne et d’Irlande de 1685 à 1688. Comme son père Charles Ier avant lui, Jacques a vu le trône lui échapper à la suite d’une révolution. Mais à l’inverse de lui, Jacques II sauva sa tête en s’exilant en France pour retrouver cette terre qui l’avait déjà accueilli lors de son premier exil. Son cousin Louis XIV l’accueille volontiers à Saint-Germain-en-Laye, mais c’est à Versailles que se jouent réellement l’avenir politique du roi déchu et son amitié avec le Roi-Soleil. En douze années de vie française, Jacques II se rend quatre-vingt quatorze fois à Versailles. Autant de visites qui furent le signe d’une entente plus que cordiale entre les deux souverains.


Par Kévin Guillot, journaliste



Le 10/20 juin 1688 (l’Angleterre respectant encore le calendrier julien), la reine Marie de Modène, seconde épouse du roi Jacques II Stuart d’Angleterre, donne naissance à un petit garçon prénommé Jacques François. Baptisé le jour même de sa naissance, l’enfant devient le symbole du renouveau catholique du trône de Grande-Bretagne. Voilà maintenant cent cinquante-quatre ans que l’anglicanisme est devenu religion d’État sur les îles Britanniques. L’Angleterre anglicane fait tout pour ne pas croire en cette naissance. Les rumeurs sont légion à la cour Saint-James et contestent la véracité de la naissance du prince de Galles. En dehors de sa confession catholique, Jacques II est décrié par les parlementaires pour sa politique. Dans une période de paix, il finance une armée permanente pour se prémunir des révoltes. Il offre des postes clés dans son entourage politique et dans son armée à des catholiques. Le roi rêve d’un gouvernement personnel. En 1686, il n’hésite pas à édicter une loi pour gouverner librement. Aux yeux des politiques anglais, Jacques le catholique n’est rien d’autre que Jacques le tyran. Sept d’entre eux se réunissent et envoient une invitation formelle au prince Guillaume d’Orange-Nassau, alors Stathouder de Hollande et époux de la fille aînée de Jacques II, pour lui demander de l’aide. Ces « sept immortels » reçoivent rapidement une réponse positive (1).


Le libérateur foule le sol anglais le 5/15 novembre 1688 avec 15 000 hommes. Jacques II ne veut pas d’un déferlement de violences qui coûterait la vie à ses chers sujets. Cet ancien militaire sait trop bien ce qu’un tel combat engendre pour la vie humaine. Alors que ses forces armées sont supérieures en nombre, le roi Jacques décide de poser les armes face à l’armée de son gendre hollandais. Cet acte glorieux donnera son nom à la révolution qui débute. Le 11/21 décembre, Jacques II quitte précipitamment Londres en embarquant sur un navire qui lui fait remonter la Tamise jusqu’au Kent. À bord, il jette le sceau royal dans le fleuve pour signifier qu’aucun homme ne pourra gouverner à sa place. Mais le roi est capturé par les hommes de Guillaume neuf jours plus tard. Pour le nouvel homme fort d’Angleterre, il n’est pas question de faire de Jacques II un martyr, il décide donc de le libérer. Le 23 décembre 1688/2 janvier 1689, le monarque évincé embarque dans un navire au côté de son fils naturel Jacques Fitz-James, duc de Berwick, pour rejoindre la France. S’ouvre alors pour Jacques II une nouvelle destinée dans un royaume qui vit au rythme de la cour de Versailles (2).


L’accueil prestigieux d’un roi sans royaume

Louis XIV attend Jacques II de pied ferme face au château de Saint-Germain-en-Laye le 7 janvier 1689. Lorsque le roi déchu fait son apparition, son épouse et son fils âgé de seulement six mois sont déjà auprès du Roi-Soleil. Ils avaient fui l’Angleterre en décembre 1688 et s’étaient réfugiés en France. « Voici votre maison, lui dit le roi, quand j’y viendrai vous m’y rendrai les honneurs, et je vous les ferai quand vous viendrez à Versailles. » (3) Par ces mots, Louis XIV entend devenir le protecteur de ses invités royaux et leur offre son château de Saint-Germain. Jacques II n’est pas en terre inconnue. En 1648, il avait déjà désigné la France comme terre d’exil alors que son père Charles Ier luttait contre une révolution menée par Oliver Cromwell. Il est au Louvre lorsqu’il apprend la décapitation de son père un jour de janvier 1649. Pendant ses années en France, Jacques, qui n’était alors que duc d’York, avait combattu les frondeurs sous les ordres de Turenne. Alors que son frère aîné tentait de reprendre son trône, il était parti à ses côtés en 1650 pour un exil européen jusqu’au rétablissement de la monarchie en Angleterre en 1660 (4).


Louis XIV pense d’abord aménager le château de Vincennes pour la famille d’Angleterre. Cependant, selon un article de la revue Le Mercure Galant, « Sa Majesté, croyant l’air de Saint-Germain-en-Laye meilleur pour la santé du jeune prince et le château plus commode pour voir la reine plus souvent, avait changé de dessein » (5) Le choix du roi pour Saint-Germain est loin d’être dérisoire. Louis XIV fut toute sa vie attaché à ce château. C’est ici qu’il vit le jour le 5 septembre 1638. Cinq ans plus tard, son père Louis XIII y avait rendu le dernier souffle. Les murs de Saint-Germain furent aussi les remparts qui le protégèrent de la Fronde qui grondait à Paris en 1649. Symbole des jeunes années du Roi-Soleil, Saint-Germain avait eu droit à son lot de travaux pour l’embellir et l’agrandir grâce aux talents de Jules Hardouin-Mansart, Le Brun, Le Vau et bien entendu le paysagiste Le Nôtre, le quatuor à l’origine de Versailles (6). Saint-Germain-en-Laye est aussi idéalement situé. Entre Paris et Versailles, le vieux château dispose d’une position stratégique. Jacques II s’entoure d’une centaine de jacobites, qui s’installent dans la ville et à Paris, et reprend les usages de la cour Saint-James en sa demeure. Mais pour l’heure, les obligations de Jacques II débutent à Versailles.


Le lendemain de la réception à Saint-Germain, Jacques II prend la route pour Versailles. Louis XIV entend accueillir officiellement ce monarque sans royaume en son palais. Voilà seulement sept ans que le roi s’y est définitivement installé. « Le roi alla le recevoir jusqu’au bout de la salle des gardes, et ensuite il le mena dans sa chambre, lui donnant toujours la main. Les deux rois causèrent assez longtemps, puis ils entrèrent dans le cabinet où ils s’enfermèrent. Ensuite le roi conduisit le roi d’Angleterre par la galerie chez madame la Dauphine. » (7) Par cette visite de Versailles, Louis XIV fait une démonstration de sa puissance au roi Jacques, tout en le présentant à sa cour. Lors de cette première visite versaillaise, Jacques II fit forte impression. « Le roi d’Angleterre trouva les cabinets admirables et parla en connoisseur des tableaux, des porcelaines, des cristaux et de tout ce qu’il y vit. » (8) Ce 8 janvier 1689 ouvrit le bal des visites versaillaises du roi d’Angleterre.


Une amitié royale à Versailles

La reine Marie de Modène est reçue elle aussi à Versailles cinq jours plus tard. « Le Roy la reçut en haut de l’escalier. Après un quart d’heure de conversation, Sa Majesté la conduisit par la galerie, à l’appartement de Madame la Dauphine. » (9) Aussi protocolaire que celui de Jacques II, l’accueil de Louis XIV à la reine d’Angleterre est cependant moins attentif à son hôte. Le roi de France accorde plus d’importance à son homologue anglais, et cela bien au-delà de cette seule journée de janvier 1689. Jacques II est un monarque exilé, mais il n’a jamais officiellement abdiqué. Pour lui, rien n’est encore perdu. Sa fille et son gendre usurpateurs ne paient rien pour attendre. Lors de nombreuses entrevues privées à Versailles, Jacques II et Louis XIV parlent d’un débarquement en Angleterre. Le 18 février, le roi Stuart se rend à Versailles pour dire adieu à Louis XIV avant d’embarquer pour l’Irlande (10). Il part en mars à la tête d’une armée constituée de soldats français et jacobites. L’île n’a jamais accepté la prise de pouvoir de Guillaume III et de Marie II et demeure fidèle à Jacques II. Alors que son époux guerroie en Irlande, Marie de Modène prie pour lui en son château de Saint-Germain ou lors de ses visites parisiennes, alors qu’elle n’est invitée qu’une seule fois à Versailles. Le 19 juillet, elle découvre les fontaines du parc en compagnie du roi et du dauphin (11). Finalement, Jacques II revient en France défait en octobre 1690. Ses rêves de reconquête du trône d’Angleterre sont poussés dans les abîmes. Il sait désormais que la France, plus qu’un exil provisoire, est bien la terre qui accueillera l’automne de sa vie.


Le retour de Jacques II ouvre une nouvelle fois la saison des visites versaillaises. Dès le 29 octobre 1690, le roi et la reine de Grande-Bretagne viennent visiter Louis XIV qui les reçoit en privé dans son cabinet (12). À partir de cette date, Jacques II et Marie de Modène sont de toutes les festivités de Versailles. Le moindre événement est prétexte à une invitation envoyée à Saint-Germain-en-Laye. Opéras, bals, visites de courtoisies, le couple royal anglais est régulièrement l’invité d’honneur de Sa Majesté très chrétienne. Jacques II participe d’ailleurs souvent aux soirées des Grands Appartements où les jeux, la danse et les collations rythment le temps. Entre 1690 et 1696, on ne dénombre pas moins d’une soixantaine de visites de Jacques II et de son épouse au palais. Parmi elles, on peut noter l’organisation d’un opéra par Louis XIV en l’honneur de la reine d’Angleterre en janvier 1691 (13), mais aussi une dizaine de dîners avec le roi de France comme le 5 janvier 1694 (14), ou encore des promenades dans l’immense parc.


Jacques II et Louis XIV avaient instauré une tradition. Chaque année, entre les mois de janvier et février, les rois d’Angleterre et de France dînaient ensemble avec une assemblée plus ou moins vaste, mais continuellement devant les courtisans versaillais. À la cour, seule la Princesse Palatine, avec sa plume assassine, ose critiquer le roi anglais lors de ses séjours à Versailles. Le 13 septembre 1690, alors que Jacques II bataille pour retrouver sa couronne, elle écrit à sa tante Sophie de Hanovre : « J’estime que moi aussi j’aurai bientôt “un petit religion appart moy”. Et le bon roi Jacques également aurait mieux fait d’agir de la sorte plutôt que de perdre trois royaumes par bigoterie. » (15) Pour la princesse Palatine, mieux vaut un royaume qu’une religion.


En somme, ces visites versaillaises entre 1690 et 1696 dévoilent la profonde affection qui lie Louis le Grand et Jacques le détrôné. La légende veut que Louis XIV n’ait pas d’amis, mais si parmi son entourage il en est un que l’on peut aisément dénommer ainsi, c’est bien Jacques II. Pour preuve, en dehors de Versailles, il est aussi l’invité régulier du roi à Marly, Louis XIV chassant volontiers avec lui (16). « J’ai fait Versailles pour ma cour, Marly pour mes amis, et Trianon pour moi. » Une telle présence des souverains exilés d’Angleterre en ce château montre publiquement le bon sentiment du roi à leur égard. En plus de Marly, Jacques II vient aussi deux semaines à Fontainebleau chaque mois de septembre ou d’octobre (17), alors que le roi y séjourne pour la saison de la chasse, et quelquefois au Grand Trianon. Louis XIV visite lui aussi très souvent Jacques II à Saint-Germain-en-Laye. Plus que des amis, les deux monarques partagent le même sang. Tout comme Louis XIV, Jacques II est un petit-fils d’Henri IV. Sa mère, Henriette-Marie, était la sœur de Louis XIII. Les deux hommes sont donc cousins germains. En plus de cela, Monsieur, frère du roi, fut marié en premières noces à Henriette d’Angleterre, la sœur de Jacques II, une femme très appréciée du Roi-Soleil. Le roi de France a donc plus d’un motif d’offrir une place de choix à son cousin anglais. Mais avec Louis XIV, la politique du royaume l’emporte sur les raisons du cœur.


Jacques II, l’exilé de Versailles devenu trop encombrant

Le 20 septembre 1697, Louis XIV signe le traité de Ryswick qui met fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Parmi les conditions de paix, le roi de France reconnaît à la surprise générale la légitimité de Guillaume III sur le trône anglais (18). Louis XIV continue pour un temps d’inviter son cousin à Versailles. Comme l’indique le marquis de Dangeau, le 27 octobre suivant, Jacques II et son épouse viennent à Versailles pour visiter le roi (19). Le 7 décembre, Jacques II et la reine Marie sont invités à un événement des plus importants : le mariage du duc de Bourgogne, second dans l’ordre de succession au trône, avec Marie-Adélaïde de Savoie. La Gazette note alors qu’au moment de la bénédiction au lit, « le Roy et la Reine de la Grande Bretagne donna la chemise à Monseigneur le Duc de Bourgogne et la Reine à Madame la Duchesse de Bourgogne » (20). Versailles est fait de symboles. Une telle place attribuée au roi et à la reine d’Angleterre lors de l’union du petit-fils de Louis XIV montre là encore l’affection que le vieux souverain porte à son cousin. Cependant, 1697 s’avère être la dernière année de la faveur du couple royal britannique à Versailles.


Avec la signature du traité de Ryswick, Louis XIV est dans l’impasse. Il souhaite garder Jacques II à ses côtés, mais il doit aussi conserver sa nouvelle bonne entente avec l’Angleterre de Guillaume III. Il ne peut accueillir le roi déchu à Versailles aussi souvent que par le passé. Le palais est le lieu officiel de la gouvernance du royaume. Continuer à inviter Jacques II serait perçu par l’Angleterre comme un affront à son roi. À partir de 1698, le couple royal n’est vu à Versailles qu’une à quatre fois par an. Le contraste est total avec les premières années du couple britannique en France. Jacques II est reçu pour la toute dernière fois à Versailles le 14 juin 1701 (21). Néanmoins, Louis XIV apprécie trop son cousin pour s’en détacher complètement. Les deux hommes partagent un goût prononcé pour l’art, la musique et la chasse . Tous deux ont également la même conception du pouvoir. C’est donc désormais dans la discrétion de Marly et de Fontainebleau que se jouent les scènes de leur amitié. Officiellement, le roi Jacques n’est plus présent à Versailles. Officieusement, le Roi-Soleil continue à faire rayonner sur lui ses élans de bonté dans son cher château de Marly. Malgré tout, Jacques II est invité à Versailles le 2 décembre 1700 pour assister à la cérémonie d’adieu à Philippe V d’Espagne (22). Le petit-fils de Louis XIV est alors sur le point de partir pour ce royaume qu’il a hérité un an auparavant.


Le 10 juillet 1701 (23), le roi s’inquiète des mauvaises nouvelles venues de Saint-Germain. Affaibli, Jacques II est alité quand le roi lui rend une dernière fois visite le 13 septembre (24). Louis XIV est le monarque des paradoxes. Alors qu’il a officiellement reconnu Guillaume III comme le souverain légitime de Grande-Bretagne, aux dernières heures de la vie de Jacques, il lui promet devant une cour médusée de reconnaître son fils comme le nouveau roi d’Angleterre. C’est avec cette promesse en tête que Jacques II rendit son dernier souffle trois jours plus tard. Malgré cette mort tragique, la reine Marie et ses enfants gardèrent la grâce de Louis XIV qui continua à les inviter de temps à autre à Versailles. Mais avec la disparition de Jacques II, le Roi-Soleil voit partir l’un de ses plus proches amis et ouvre le dernier chapitre de sa vie.

 
 
 

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