top of page

François Masson  un sculpteur à la carrière en trois actes

Né sous le règne de Louis XV et décoré de la Légion d’honneur par Napoléon Ier, François Masson (1745-1807) est de cette génération d’artistes qui, tels Augustin Pajou ou Jean-Antoine Houdon, œuvrèrent sous l’Ancien Régime, la Révolution puis l’Empire. Malgré sa célébrité à sa mort, Masson ne bénéficia pas de la fortune historiographique de ses illustres contemporains. Récemment parue, la double monographie consacrée aux frères Louis Le Masson et François Masson rend enfin justice à ce sculpteur de talent dont Versailles conserve de nombreuses œuvres.


ree

D’origine modeste, François Masson naquit dans une famille qui s’était établie à La Vieille-Lyre, en Normandie, pour travailler à la forge de Trisay. 


Des années de formation aux premières commandes

Comme son frère aîné Louis, futur architecte et ingénieur, François bénéficia de l’instruction dispensée par les moines de l’abbaye bénédictine de Lyre, dont dépendait la forge. Les dispositions des deux frères pour le dessin leur valurent d’être remarqués par le maréchal François Victor de Broglie, premier baron fossier de Normandie, et son frère Charles, évêque de Noyon. Louis fut ainsi admis à l’École royale des Ponts et Chaussées, à Paris, et son cadet dans l’atelier de Charles Guillaume Cousin, à Pont-Audemer, vers 1764. Réputé pour ses talents de portraitiste, ce sculpteur inculqua les rudiments de son art à son jeune élève, qui exécuta alors les bustes de ses protecteurs (perdus), ainsi que les profils en médaillon de sa mère et de son père, ce dernier étant signé et daté 1766 (Rouen, musée des Beaux-arts). Cette année-là, le sculpteur quitta sa Normandie natale pour la capitale. En effet, sur la recommandation de Cousin, ancien élève de Nicolas Coustou, il put intégrer l’un des plus prestigieux ateliers du moment, celui de Guillaume II Coustou, dernier représentant de cette fameuse dynastie d’artistes.


On ne sait rien de ces années d’apprentissage auprès du maître qui, alors, commençait à travailler à son ultime chef-d’œuvre, le mausolée du Dauphin (installé dans la cathédrale de Sens en 1777), mais on peut supposer qu’il y noua des liens durables avec certains de ses condisciples, notamment Pierre Julien. Malgré les rapports qu’entretenait Coustou avec l’Académie royale de peinture et de sculpture, Masson demeura étranger à l’institution et, de fait, ne fut jamais sculpteur du roi. 


Dès 1769, son mécène l’évêque de Noyon lui confia le décor sculpté en pierre et en plomb de la nouvelle fontaine qui, au cœur de la ville, devait célébrer le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette. Fort de la leçon parisienne, Masson exécuta les différentes allégories sur le thème de l’alliance franco-autrichienne dans ce style à la fois néoclassique et sensible cher à Coustou. Surtout, cette première commande publique offrit à l’artiste une expérience des plus profitables dans le domaine de la sculpture monumentale auquel il allait être plusieurs fois confronté. Satisfait, l’évêque permit à son protégé de se parfaire au contact de l’antique et des grands maîtres, et finança son voyage à Rome de 1771 à 1775-1777. Ce séjour est peu documenté mais le carnet de croquis conservé, intégralement reproduit dans la monographie, atteste la fascination de Masson pour la grande statuaire baroque de Pierre II Legros et, surtout, du Bernin. Enfin, bien que n’étant pas pensionnaire du roi, sans doute fréquenta-t-il l’Académie de France à Rome où séjourna Jacques Louis David et, plus généralement, la grande communauté d’artistes français parmi laquelle se détache Philippe Laurent Roland, sculpteur dont il demeura proche toute sa vie. 


En 1777, Masson fut appelé à Metz pour exécuter l’imposant décor sculpté du palais du Gouverneur, alors reconstruit par le maréchal de Broglie, maître des Trois Évêchés. Confié à Charles Louis Clérisseau, l’architecture strictement néoclassique de ce bâtiment (actuel palais de Justice) met en valeur les statues d’hommes illustres et les grands bas-reliefs narrant des traits de l’histoire locale. Ces tableaux de pierre mêlant discours allégorique et vérité du costume participaient de cette célébration du passé national que le pouvoir, à Paris, encourageait alors. Outre le décor monumental, Masson chercha à se faire une réputation solide de portraitiste. En effet, par l’entremise de son frère, le sculpteur reçut la commande du buste en marbre du fondateur et directeur de l’École des Ponts-et-Chaussées, Jean Rodolphe Perronet. Chef-d’œuvre des Lumières, ce portrait alliant sensibilité naturaliste et art de l’effet semble être l’allégorie même de l’Ingénieur, environné de ses instruments de travail sous les auspices de Minerve, déesse de la Sagesse et du Savoir sculptée sur la colonne. 

Désormais connu et socialement établi par son mariage avec la fille d’un officier royal, Masson quitta définitivement Metz en 1784. Avec sa famille, il s’installa à Paris et entreprit d’en conquérir la scène artistique.


Succès parisiens durant la période révolutionnaire

Quoique méconnues, les premières années dans la capitale furent probablement difficiles car, n’étant pas académicien, Masson ne pouvait ni exposer au Salon ni prétendre obtenir une commande royale. Ainsi, sa subsistance dépendait essentiellement de la clientèle privée. De fait, durant cette décennie 1780, il se tourna vers la sculpture de cabinet. Il exécuta ainsi des œuvres décoratives, comme des vases ou des modèles de pendule, ainsi que des statuettes à sujets mythologiques ou galants. Connue à travers quelques catalogues de vente et, surtout, son inventaire après décès (retranscrit dans la monographie), cette production aujourd’hui disparue s’inscrit dans cette vogue plus générale pour les thèmes légers à laquelle sacrifièrent, entre autres, Julien ou Clodion. Afin de séduire des collectionneurs parisiens avides de copies d’antiques fameuses, en 1789 Masson obtint l’autorisation de faire « quelques études » d’après la Cléopâtre du Belvédère, exécutée par Corneille Van Clève pour les jardins de Versailles un siècle plus tôt. En 1791, il revint dans le domaine royal alors vide de ses occupants afin d’exécuter un modèle de la Nymphe Borghèse de Coysevox, sur le parterre bas de Latone (déposée au musée du Louvre). Il en conçut un pendant sous la forme d’une statuette en marbre d’une Nymphe sur le rivage (non localisée), qu’il exposa au Salon de 1793, le premier auquel il put participer.


En effet, bien qu’on ne sache pas s’il se rallia aux mouvements contestataires, Masson bénéficia des bouleversements politiques et idéologiques qui, à partir de 1789, frappèrent les institutions traditionnelles. Regroupés autour de David en une Commune des arts, les artistes obtinrent de l’Assemblée nationale que le Salon de 1791 ne soit plus réservé aux seuls peintres et sculpteurs du roi, mais ouvert à tous. Ce premier Salon libre préfigura la suppression, deux ans plus tard, des académies royales. Malgré les difficultés du temps, la Révolution fut favorable à la carrière du sculpteur. Ainsi, il eut sa part dans l’immense chantier décoratif qui, à partir de 1791, transforma l’église Sainte-Geneviève de Paris en temple des grands hommes de la patrie. Maître-d’œuvre du projet, Antoine Chrysostome Quatremère, dit Quatremère de Quincy, mobilisa plus d’une vingtaine d’éminents sculpteurs chargés de remplacer les décors religieux par une nouvelle iconographie civique. Outre l’un des pendentifs ornant les nefs à coupole à l’intérieur de l’édifice, Masson exécuta un groupe en plâtre représentant Un guerrier mourant dans les bras de la Patrie placé sous le péristyle (disparu). Prestigieux, cet emplacement atteste que Masson comptait désormais parmi les artistes les plus en vue. 


Prudent, le sculpteur chercha à ménager la Convention nationale et, peu avant la Grande Terreur de 1794, offrit au gouvernement une statue en plâtre de la Liberté. En pendant, il prit l’initiative d’exécuter La République dont il attendit longtemps le paiement. Destinées au salon précédant la salle des séances de la Convention, au palais des Tuileries, ces œuvres aujourd’hui disparues comptent parmi les premières allégories républicaines recensées.


La carrière du sculpteur prit un nouvel envol durant le Directoire. L’installation du Conseil des Cinq-Cents au Palais Bourbon entraîna de nombreux aménagements. La salle des séances, en particulier, devait refléter l’antique idéal républicain dont cette nouvelle assemblée démocratique se réclamait. Dans les six niches encadrant la tribune, les architectes Leconte et Gisors firent placer des statues d’hommes d’État et d’orateurs des mondes grec et romain, dont Cicéron, que Masson exécuta en 1797. Contrairement au projet initial, cette œuvre ne fut jamais traduite en marbre, et a aujourd’hui disparu. De plus, le nouveau régime garantit au sculpteur une sécurité matérielle ainsi qu’un atelier en le nommant à vie « statuaire et restaurateur des objets d’art du Palais et du Jardin national des Tuileries ». Par cette fonction, il obtint une commande enviée par les principaux sculpteurs du temps : le monument à la gloire de Jean-Jacques Rousseau, destiné à être exécuté en marbre dans le jardin des Tuileries. Chaudet, Stouf ou encore Moitte s’étaient affrontés lors des concours qui émaillèrent la période révolutionnaire, désireuse de glorifier l’auteur du Contrat social. Quant à Houdon, détenteur du masque mortuaire du philosophe, il se considérait comme son portraitiste officiel. Exposé au Salon de 1799 avant d’être installé aux Tuileries, le monument par Masson célébrait le caractère à la fois philanthrope et législateur de Rousseau. Comme tant d’œuvres de cette époque, ce groupe en plâtre ne fut jamais traduit en marbre et disparut après 1836. Seule la maquette en plâtre conservée au Louvre garde le souvenir de cette importante commande qui consacra Masson comme l’un des principaux sculpteurs de la République.

Parallèlement à ces commandes publiques, le sculpteur s’imposa à Paris comme portraitiste. Il immortalisa les traits d’aristocrates favorables à la Révolution, comme la duchesse d’Aiguillon (vers 1790-1793, plâtre, collection particulière) ou de la nouvelle élite du Directoire. Ainsi, il exécuta le buste en marbre de Jean Charles Pichegru en 1797, vraisemblablement à l’occasion de son élection à la présidence du Conseil des Cinq-Cents. Toutefois, contrairement à d’autres sculpteurs de sa génération tels Boizot, Chinard ou Corbet, en ce Directoire finissant Masson ne chercha pas à représenter la nouvelle étoile montante, le général Bonaparte. Ce dernier, pourtant, allait donner au sculpteur désormais réputé ce qu’il lui manquait : la gloire.


Triomphe sous le Consulat et l’Empire

Après la décennie révolutionnaire, le Consulat ouvrit une période de stabilité favorable aux arts. Premier Consul, Bonaparte conforta les institutions rétablies dès la Convention et renoua avec la commande officielle, assisté de Dominique Vivant Denon. Nommé en 1802 directeur du Muséum central des arts, ce dernier fut le maître d’ouvrage de la politique artistique du Consulat puis de l’Empire, passant les commandes aux artistes qu’il contrôlait étroitement. Bien que le « directeur des arts » ait eu une appréciation ambivalente du talent de Masson, le sculpteur fut particulièrement favorisé par le nouveau régime. Ainsi, il eut sa part dans l’importante commande de bustes d’hommes illustres que Bonaparte destina, dès 1800, à la galerie d’apparat du palais des Tuileries, lieu par excellence du pouvoir. Ainsi, il exécuta les hermès en marbre de Kléber et de Caffarelli du Falga, nouveaux héros respectivement morts durant la campagne d’Égypte et au siège de Saint-Jean-d’Acre (disparus dans l’incendie des Tuileries en 1871).


Cette dimension commémorative assignée à la sculpture est également manifeste dans deux autres suites. En 1806, six statues en marbre de généraux de la Révolution morts au combat furent commandées. Aux côtés de sculpteurs aussi prestigieux que Houdon (Joubert), Moitte (Custines) ou encore Chaudet (Dugommier), Masson se conforma aux directives impériales en représentant Caffarelli du Falga dans son uniforme de général très reconnaissable. À rebours de toute idéalisation ou du traditionnel langage allégorique, l’attachement à une forme de vérité historique guida également la très prestigieuse commande de six statues en marbre de chacun des grands dignitaires de l’Empire. Quant à elle passée en 1805, cette suite était destinée à la salle du Trône du palais des Tuileries où, vraisemblablement en raison de la mauvaise portance des sols, elle ne fut jamais installée. Par le traitement virtuose du costume d’apparat et le rendu très sensible des traits du modèle, l’architrésorier Lebrun par Masson compte parmi les chefs-d’œuvre de cette série, à l’instar du Louis Bonaparte, grand connétable de l’Empire, par Pierre Cartellier.


Au faîte de la gloire, Masson reçut également de très nombreuses commandes privées de la part des principales personnalités politiques et militaires du temps. Ses confrères étant accaparés par les grands monuments dont Napoléon ornait la capitale, tels la colonne Vendôme ou l’arc du Carrousel, Masson jouit d’un quasi-monopole dans le domaine du portrait sculpté et devint, en quelque sorte, le bustier de l’Empire. Outre le buste en bronze de l’Empereur en personne (vers 1805, Arenenberg, musée Napoléon), il exécuta entre autres les bustes d’Anne Charles Lebrun et de son père Charles François (marbre, Riom, musée Francisque Mandet) et, surtout, des principaux hommes de guerre faits maréchaux lors de la promotion de 1804. Ainsi, il représenta Lannes, Masséna, le comte Brune, Berthier, Bessières, Lefebvre, le comte Sérurier, Kellermann ou encore Augereau, hermès en marbre que la veuve du maréchal donna à Versailles en 1858.


Décoré de la Légion d’honneur dès 1803, Masson décéda en pleine gloire en 1807, foudroyé par une « maladie aiguë ». Dans la Notice historique qu’il publia en mémoire de son ami trop tôt disparu, le peintre Jean-Baptiste Regnault vanta la polyvalence de l’artiste ainsi que sa singularité, lui qui, ne cherchant ni « à suivre [ni] à reproduire le style d’un maître ou celui d’une école », fut l’« élève de son talent ». 


François Masson à Versailles

Dans les Galeries historiques, Louis-Philippe accorda une place prépondérante à l’Empire, particulièrement dans l’aile du Midi. Complétant le dispositif des treize salles de peinture dédiées, au rez-de-jardin, aux campagnes de 1796 à 1811, la galerie de pierre adjacente fut réservée dès 1834 à l’exposition de statues et de bustes des principales personnalités de la Révolution, du Consulat et de l’Empire . Pour ce faire, le roi des Français fit transférer à Versailles ces suites de bustes et de statues en marbre commandées sous l’Empire et que la Restauration avait reléguées, pour la plupart, en réserve. Ainsi, nombre des bustes destinés à la galerie des Consuls des Tuileries sont toujours dans les collections du château (exposés à l’attique Chimay), tout comme les statues de généraux de la Révolution ou des grands dignitaires de l’Empire (dans la galerie de pierre basse de l’aile du Midi). Sous la monarchie de Juillet, ces sculptures originales furent complétées par les moulages en plâtre des œuvres qui n’étaient pas disponibles, tels les bustes de maréchaux de 1804. Conservés par les familles des modèles, ces derniers furent probablement moulés une première fois pour orner la salle des Maréchaux des Tuileries, et disparurent dans l’incendie du palais durant la Commune, en 1871. Ainsi, les surmoulages de ces bustes exécutés par François-Henri Jacquet pour les Galeries historiques sont devenus de précieux témoignages de l’art de Masson portraitiste. 


De fait, depuis Louis-Philippe, les collections du château de Versailles conservent le plus grand nombre d’œuvres de ce sculpteur de talent qui mêla avec bonheur la sensibilité des Lumières et la majesté de l’Empire.   

 
 
 

Comments


DSI EDITIONS

Shop (en construction)

Socials

DSI EDITIONS

Napoleon 1er Magazine

Napoleon III Magazine

Chateau de Versailles 

Paris de Lutece à Nos Jours

14-18 Magazine

© 2024 DSI EDITIONS

bottom of page