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En couvertureLa salle du Jeu de Paume

Où réside la mémoire topographique de la Révolution de 1989 ? Sur la place de la Bastille ? La colonne de Juillet commémore les victimes d’une autre révolution, celle de 1830, et il ne reste rien ni de la prise symbolique de la forteresse ni de la fontaine de la Régénération où se déroulèrent les plus grandes fêtes révolutionnaires. Aux Tuileries, théâtre de la Convention, d’une royauté mise à bas et de la proclamation de la République ? Une autre révolution est passée par là, la Commune, qui a fait flamber en mars 1871 ce triple lieu de mémoire. Notre histoire a été si riche de convulsions que celles-ci se sont superposées, effacées les unes les autres, détruisant les berceaux d’origine.Il demeure Versailles, où fut allumée au mois de juin 1789 la mèche politique dans la salle du Jeu de Paume.


C’est dans cette salle que le 20 juin 1789 quelques centaines de députés se réunir pour prêter le serment le plus célèbre de l’Histoire, plus célèbre encore que celui des Horaces ou de Koufra, le serment du Jeu de Paume.


Tout y est dit, en quelques lignes, des exigences de la démocratie. Sa vocation combative, son courage inébranlable dans l’adversité, ses exigences renouvelées, son aventure aussi. Ces députés font corps. Ils ont débuté ensemble une histoire, ensemble, ils la termineront. Pas de désunion ni de désertion possible. Rien ne les empêchera, disent-ils, de se réunir, de débattre. Rien ne les privera de leur légitimité à représenter la nation, à en fixer les lois, à en préserver la « constitution », terme répété. La démocratie française n’a rien produit de plus admirable que ce texte, plein de superbe et largement oublié.


Certes, nul n’ignore le nom de ce texte fondateur de notre démocratie. Tout le monde saura plus ou moins le situer dans le temps, un peu avant ‒ ou un peu après ? ‒ la prise de la Bastille. Certains vous soutiendront ‒ à tort ‒ que l’auteur en fut Mirabeau, le confondant avec « la puissance des baïonnettes », reprise et pour ainsi dire plagiat de ce premier serment que l’orateur vérolé, jusque-là assez discret, se permettra de sa propre initiative, trois jours plus tard, le 23 juin, dans une autre salle, dite des Menus-Plaisirs. Mais l’histoire du lieu qui servit de cadre au célèbre Serment demeure méconnue.


Entrée dans l’histoire

Au préalable, rappelons les faits par lesquels ce quadrilatère, dévolu jusque-là à un jeu de balles, est entré dans l’histoire. Tout commence le 5 mai 1789. La convocation des États généraux soulève la question de leur lieu d’accueil. Louis XVI n’est pas favorable à Paris, ville dangereuse et frondeuse. Il préfère avoir les députés sous la main. Créé deux ans plus tôt pour les spectacles de la Cour, l’hôtel des Menus-Plaisirs ‒ aujourd’hui, rue des Chantiers ‒ a déjà servi en 1787 pour une première Assemblée des notables. Des entrepôts sont disponibles, la main-d’œuvre également, de même que les matériaux en bois : en toute hâte, on construit une salle sur un plancher flottant dans la cour arrière, qui servait jusque-là d’atelier en plein air. Cette salle plénière est splendide, mais éphémère. Après un début d’incendie, elle sera détruite en 1800. Il ne restera que le bâtiment principal en dur, reconverti en caserne au xixe siècle avant de devenir le siège du Centre de musique baroque ouvert il y a trente ans. Dans cette cour, des arbres ont été plantés selon un tracé qui suit les délimitations de l’ancienne salle. Quelques hauts faits de la Révolution politique s’y sont déroulés.


C’est là que, le 17 juin 1789, face à l’intransigeance du roi et des députés de la noblesse qui refusent le système de vote par tête, cramponnés au vote par ordre qui leur donne la majorité avec le clergé, les députés du tiers état se sont constitués en Assemblée nationale. Après avoir élu président Bailly, député de Paris déjà à la tête du tiers, ils ont prêté un premier serment. La nation est née en acte dans cette cour des Menus-Plaisirs où 630 députés se sont arrogé le pouvoir législatif. Dans cet hôtel, seuls les députés du clergé et de la noblesse étaient autorisés à siéger dans des salles du bâtiment en dur. Au tiers état, on réservait la salle provisoire, au plancher flottant. La disposition des lieux en dit long parfois sur les rapports de force. De début mai à la fin du mois de juin, les ordres ne se sont donc pas croisés, confirmation in situ de la sentence « diviser pour mieux régner ». Membres du clergé et aristocrates bénéficiaient du portail d’apparat, avenue de Paris, députés du tiers s’étaient vus relégués rue des Chantiers, où se trouvait l’entrée de service. Les vexations se sont prolongées le 23 juin, lors de la séance royale convoquée par Louis XVI dans la salle plénière de cet hôtel des Menus-Plaisirs. Il tombe une pluie battante. Clergé et noblesse sont introduits en premier, tandis que les députés du tiers poireautent à l’extérieur, sous des trombes d’eau. C’est ce jour-là, après que la séance eut été levée, que le tiers refusa de se séparer et que Mirabeau, répondant au grand maître des cérémonies, le marquis de Dreux-Brézé, lui aurait déclaré : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes. »


Il est vrai que le tiers était échaudé. Le 17 juin, leurs députés s’étaient constitués en Assemblée mais avaient aussi invité les membres du clergé à les rejoindre. Une nouvelle séance devait se dérouler le vendredi 20. Comprenant le danger, l’entourage du roi reprend l’initiative en annonçant dans la nuit du 19 au 20 une séance royale prévue pour le mardi 23. Le président Bailly, qui réside à l’hôtel de la Poste-aux-Chevaux, au 4, avenue de Paris ‒ où se trouve aujourd’hui la mairie de Versailles ‒, soit à deux pas de la salle de l’Assemblée, est prévenu vers 6 heures 30 du matin. Il y envoie un secrétaire : les portes de l’hôtel sont fermées et gardées par des soldats en armes. Il s’y rend lui-même, accompagné d’une dizaine de députés. Un lieutenant lui confirme que la salle, en travaux pour l’audience du 23, est inaccessible. Tout juste peuvent-ils récupérer quelques documents et constater qu’en effet la salle plénière est en plein remue-ménage.


Mais où aller maintenant, alors que les députés affluent rue des Chantiers ? Certains suggèrent la place d’Armes, d’autres, le château de Marly, lorsqu’une voix se fait entendre, celle du docteur Guillotin. Ce député de Paris est aussi le médecin des palefreniers du comte de Provence, frère du roi. Il vient souvent à Versailles, pour jouer par exemple à la paume. Il connaît donc une salle, ou plutôt ce jeu de paume, qui pourrait faire l’affaire. Justement, ce n’est pas loin. « Je marchais, à la tête de cette foule de députés qui d’abord étaient séparés par pelotons et qui peu à peu s’étaient réunis », écrira Bailly dans ses Mémoires. Plusieurs de ses collègues partent en éclaireurs pour occuper les lieux, en espérant qu’ils soient disponibles. Ils le sont heureusement, personne n’ayant ce jour-là programmé de partie. À quoi tient une révolution ? Il faut imaginer des députés par dizaines qui remontent en ordre dispersé l’avenue de Paris, obliquent à gauche devant la place d’Armes et le château, rebroussent chemin dans l’avenue de Sceaux avant de tourner à droite dans la rue Saint-François (aujourd’hui rue Fontenoy). Étrange cortège, sans doute bien anodin, qui s’apprête à écrire l’histoire après avoir longé le lieu même qu’ils vont faire vaciller.


En 1789, pour que les joueurs de paume puissent évoluer à leur aise, la salle était à peu près vide. Pas de meuble. Qu’importe, on fait venir deux tonneaux sur lesquels on dépose une planche. Voici pour le bureau. Pour le siège, on s’en passera, Bailly préférant rester debout. Deux députés font le guet pour surveiller l’entrée de manière dissuasive, tandis qu’à l’extérieur la foule se presse dans les rues voisines.


Trois jours après la décision de se constituer en Assemblée nationale, on reprend la discussion. L’interdiction de l’hôtel des Menus-Plaisirs est un signe fort envoyé par la monarchie. Le tiers craint la dissolution. Certains proposent de se rendre à Paris pour se mettre à l’abri. C’est alors qu’un député émet l’idée d’un serment. Mounier. Il est député de Grenoble. Il a connu les journées agitées du château de Vizille où, à l’hiver 1789, le Parlement s’était déjà livré à une prestation de serment. Le principe est adopté. Barnave et Le Chapelier en rédigent les termes. « Dans quelque lieu que l’Assemblée soit forcée de s’établir » : on comprend mieux maintenant ce passage. Bailly monte sur le bureau et donne lecture. Il n’a guère à forcer sa voix de stentor pour être entendu de son auditoire. Tous ‒ les 630 députés du tiers ‒ ne peuvent tenir dans cette salle qui mesure, selon les normes paumières, 13 mètres sur 30.


Contrairement à la toile de David, qui les fait jurer dans un bel ensemble et une convergence parfaite de bras tendus et de visages tournés, les députés viennent prêter serment et signer tour à tour, par baillis ou sénéchaussées, selon un ordre alphabétique. Le député d’Agen est le premier à apposer sa signature, Mirabeau, député d’Aix, le quatrième, Robespierre, venu d’Arras, le neuvième. Un procès-verbal se trouve aux Archives nationales, le double étant conservé au palais Bourbon, tandis que la salle en montre une copie. Un seul incident vient troubler cette cérémonie. Martin Dauch, député de Castelnaudary, refuse de signer. Son voisin, Guillermine, tente de l’en convaincre. Bailly intervient : ce serment de la démocratie incarne aussi la liberté d’expression, on ne saurait donc contraindre par la force les voix discordantes. Voilà pourquoi Dauch est représenté par David les bras repliés sur la poitrine, en signe de refus. Certains députés malades se sont fait porter afin de pouvoir ajouter leur voix : ainsi Maupetit, député de la Mayenne, que David représentera en vieillard alors qu’il n’avait que quarante-sept ans.


Pour entrer dans l’histoire, ce banal terrain de sport n’aura donc eu besoin que de quelques heures. Pas davantage, car messieurs les députés n’y reviendront plus. Le tiers s’est donné rendez-vous le surlendemain lundi 22 juin, le lendemain étant un dimanche. Il reste maintenant à convaincre le clergé de venir grossir leurs rangs. Imaginons ce Versailles bruissant de centaines de députés égayés dans les multiples cafés et estaminets dont regorge la ville. Cela fait bientôt deux mois qu’ils sont arrivés de leurs provinces. Si les nobles n’ont guère eu de peine à se loger ‒ ils disposent souvent d’un parent qui habite au château ou possèdent déjà une maison ‒, si les deux paroisses versaillaises de Notre-Dame et de Saint-Louis se sont proposées pour héberger le clergé, pour le tiers état, l’installation fut un casse-tête financier. L’aide de leurs baillis ou de leurs sénéchaussées fut loin de suffire au paiement du loyer exorbitant exigé par les Versaillais, appelés par le greffier de la ville à proposer des chambres, et qui en avaient profité pour faire flamber les prix. Les députés du tiers en furent réduits à pratiquer la colocation, pratique qui renforça leurs liens et la circulation des nouvelles.


Revenons au clergé. Quatre de ses députés, originaires du Bas-Poitou, ont déjà prêté serment le 20 dans l’après-midi, que David prendra garde de bien mettre en valeur sur l’ébauche de son tableau où la religion occupe une place centrale. Au pied de Bailly, au premier rang, le triumvirat, ou faut-il dire, le triptyque, composé de Grégoire, Rabaut-Saint-Étienne et don Gerle. L’abbé Grégoire représente le clergé régulier, Rabaut-Saint-Étienne est le porte-parole des protestants, don Gerle, absent pourtant, seul moine député, incarne le clergé séculier. Mais David n’en est pas à une imprécision près. Les rideaux se gonflent sous l’effet de la bourrasque d’une tempête, celle de l’histoire bien sûr, soulignée par la foudre qui tombe dans le coin en haut à gauche sur la chapelle royale, qu’on ne pouvait apercevoir de cet endroit. Il ajoute Marat, héros à venir de la Révolution, sur un balcon, qui prend des notes sur une feuille, non loin d’un homme accompagné de deux enfants, qui n’est autre que lui-même, le peintre David.


Pour la journée du lundi 22, deux versions sont en concurrence. Pour empêcher le tiers état de se réunir à nouveau chez lui, le maître-paumier, réprimandé pour le bon accueil qu’il lui avait réservé, aurait été obligé d’annoncer que la salle avait été louée par le comte d’Artois. Bailly, dans ses Mémoires, propose un autre récit : afin de mieux persuader les religieux de se rallier à eux, les députés auraient renoncé d’eux-mêmes au Jeu de paume, jugé trop frivole, pour une église. Ils se rendent d’abord au couvent voisin des Récollets, mais les membres de cet ordre, dont les ressources dépendent du roi, craignent des représailles ; ils leur font croire que l’hôtel des Menus-Plaisirs est de nouveau disponible. À peine les députés se sont-ils retirés que les moines verrouillent leurs portes. Il reste l’église Saint-Louis, distante seulement d’une centaine de mètres de la salle du Jeu de paume. Sur l’un des murs extérieurs de l’édifice qui est aujourd’hui une cathédrale, un cartouche rappelle que cette église « vit la réunion du tiers et du clergé et que le serment du Jeu de paume y fut renouvelé ». Rien de plus romanesque que cette errance têtue et improvisée des premières forces démocratiques dans une ville royale où se déroula bien l’acte I de la Révolution. Notre imaginaire associe ses débuts à la prise de la Bastille. Le 14 juillet 1789 ne fut que le prolongement populaire d’une révolution politique largement amorcée. Cette « parisianisation » occulte le rôle moteur joué par Versailles dans ce grand chambardement. C’est bien à portée de fusil du château, tout près du palais monarchique, au sein même du système dont ils allaient causer la chute, que l’ébullition des États généraux a débouché sur les tournants majeurs que furent la constitution en Assemblée nationale, le serment du Jeu de Paume, la nuit du 4 août et la Déclaration des droits de l’homme (26 août). Ces deux derniers événements se déroulèrent dans l’hôtel des Menus-Plaisirs que l’Assemblée nationale, devenue Constituante, était parvenue à réinvestir à partir du 23 juin. Mais par un singulier retournement de la mémoire, la part versaillaise de la Révolution a été écrasée par la dimension monarchique de la ville. Les vaincus ont obtenu leur revanche. Versailles, véritable épicentre politique, a gardé à jamais son cachet royal, figée dans l’esprit, le faste et la splendeur surannée de Louis XIV. Voilà qui explique en partie les mésaventures postérieures de la salle du Jeu de Paume.


Un tableau à la mémoire d’une journée

Tout avait pourtant bien commencé. En 1789, une société du serment du Jeu de Paume voit le jour, sous l’égide de Gilbert Romme. Ce mathématicien versaillais ne manque pas d’idées. On lui devra plus tard le calendrier républicain où il songera à donner à la période mai-juin le nom de mois du « Jeu de Paume ». Il aime les sociétés qui fleurissent en ces temps où la parole est plus libre. Dès janvier 1790, il forme également avec Théroigne de Méricourt le club des Amis de la Loi, chargé d’informer le peuple des travaux de la Constituante. Le 19 juin 1790, une plaque d’airain fait son entrée à l’Assemblée nationale qui occupe désormais la salle du Manège aux Tuileries. On peut y lire cette phrase gravée : « ils l’avaient juré, ils ont tenu parole ». Hissée sur un brancard, elle est portée par quatre indigents tenant des banderoles aux couleurs tricolores. Ils arrivent en plein préparatif de la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790. L’Assemblée approuve le projet d’apposer la plaque sur le mur de la salle du Jeu de Paume. Dès le lendemain, voici le monument de piété révolutionnaire accueilli avec les honneurs par les autorités de la ville de Versailles. La plaque est scellée grâce à des pierres extraites des fondations de la Bastille. On peut encore la voir à cette même place.


Le club des Jacobins n’est pas en reste. Ce qui fut l’ancien club breton, le groupe de députés le plus virulent au cours du printemps 1789, regroupe la crème du tiers état, Mirabeau, Robespierre, Barnave, mais aussi La Fayette. Ses membres incarnent la force dynamique de la Révolution. Son premier secrétaire, Dubois-Crancé, soumet l’idée d’un tableau, qui représenterait la grande scène du Serment. Ami de David, Dubois-Crancé suggère le nom du peintre, favorable à la cause révolutionnaire. Il vient justement d’adhérer aux Jacobins. Il avait déjà envisagé d’immortaliser un événement révolutionnaire, en l’occurrence les émeutes de l’hiver 1788. Pour justifier son choix auprès de la Convention, Dubois-Crancé rappelle que David s’est fait connaître avec un tableau représentant déjà un serment ‒ celui des Horaces et des Curiaces. David est par ailleurs un peintre en vue et, en cette année 1790, sa toile très politique sur le tyran Brutus à qui l’on rapporte le corps de ses fils qu’il a sacrifiés alimente les conversations. Il saura remercier Dubois-Crancé en lui réservant une place de choix sur Le Serment. Celui-ci domine la foule des députés, debout sur une chaise, au même niveau que le président Bailly. Une souscription nationale est lancée à l’automne 1790. 3 000 billets de 24 livres sont émis, soit 72 000 livres, dont la moitié revient à David. Les dimensions de la toile sont gigantesques ‒ 32 pieds (plus de 10 mètres) de haut sur 20 pieds (plus de 7 mètres) de large ‒, supérieures à celles de son futur chef-d’œuvre, Le Sacre de Napoléon. Le but du club des Jacobins est d’en faire cadeau à l’Assemblée nationale installée aux Tuileries afin qu’y soit exposée sa scène fondatrice.


Dans un discours vibrant de lyrisme, il en appelle le 6 novembre 1791 à l’immortalité de l’art seul à même de conserver la trace de cet événement impérissable. « L’histoire peindra cet instant où les députés, errant dans les rues de Versailles, ne cherchaient qu’à se rencontrer pour se réunir, où le peuple consterné demandait : "Où est l’Assemblée Nationale ?" et ne la trouvait plus. » Notons cette formule : « l’histoire peindra. » L’art et l’histoire se confondent, le premier duplique et transcende la seconde. David se met aussitôt au travail avec zèle et enthousiasme. Pour faire face à une œuvre au format inédit, il élit domicile dans la grande nef de l’église des Feuillants, rue Saint-Honoré, à deux pas de l’Assemblée. Ayant fait passer une annonce dans Le Moniteur à destination des députés qui ont prêté serment, il reçoit leur visite, pour les peindre au naturel ou, à défaut, leur effigie qu’ils lui font porter. Mais le trésorier nommé pour l’occasion ne reçoit que 652 souscriptions, soit à peine un cinquième des versements escomptés. Le Serment ne fait pas recette. Le 28 septembre 1791, Barère, autre membre du Club, qui a milité dès l’origine pour un tableau, est contraint de faire appel à l’Assemblée nationale pour qu’elle abonde la somme manquante avec les fonds du Trésor public. Pendant ce temps, le poète André Chénier publie vingt-deux strophes qui relatent l’événement du Jeu de Paume. Quelques vers, qu’on n’a malheureusement pas songé à lui attribuer, sont lisibles aujourd’hui à l’intérieur de la salle, sur son mur sud. « Qu’au lit de mort tout Français pleure / S’il n’a point vu ces murs où renaît son pays. / Que Sion, Delphe et la Mecque et Saïs / Aient de moins de croyants attiré l’œil fidèle. » Complément textuel du tableau de David, cet hymne sanctuarise le lieu, appelle au pèlerinage de tout un peuple, à la perpétuation d’un « temple à jamais fameux ». Il formule une requête révélatrice : qu’on n’avilisse pas d’or et de jaspe cette « vénérable demeure ». Chénier est de son temps, la Révolution marquant les débuts d’une réflexion sur l’inscription du patrimoine au sein d’une mémoire collective et patriotique.


Certaines dates aimantent l’histoire. La force qu’exerce encore le symbole du 20 juin est évidente en 1792 lorsque les Girondins, mécontents du renvoi de leurs ministres par le roi, choisissent ce jour pour faire défiler les sections parisiennes jusqu’aux Tuileries. La France est désormais en guerre, la tension est à son comble. Sur les bannières, on peut lire : « en commémoration du serment du Jeu-de-Paume. » Celui-ci agit au cœur de la Révolution comme un référent, sa célébration devenant aussi un geste politique. Quatre jours auparavant, la municipalité de Paris a avalisé le projet d’un arbre de la liberté à planter sur la terrasse des Feuillants pour fêter l’anniversaire du 20 juin. Mais la manifestation déborde de son cadre commémoratif. Menés par Pétion, le maire de Paris, les citoyens du faubourg Saint-Antoine forcent les portes du palais des Tuileries pour faire revenir le souverain sur la décision qu’il a prise de renvoyer les Girondins. C’est à cette occasion-là qu’on l’oblige à se coiffer du bonnet phrygien et à boire à la santé de la nation. L’épreuve de force échoue, on salue le courage passif de Louis XVI, mais le 20 juin 1792, nouvelle journée révolutionnaire marquante, vient recouvrir le 20 juin 1789 d’un voile de violence. Un patriote du faubourg réinterprète dans un journal la journée de 1789 en exagérant le rôle du peuple, qui aurait protégé et sauvé les députés du tiers face aux soldats de l’arbitraire royal.


1793 est l’année du durcissement de la Révolution. Ce tournant n’est bien sûr pas sans conséquence sur le regard porté sur le Serment. Le 2 juin, quelques jours avant le quatrième anniversaire, sont arrêtés nombre de ses protagonistes, tous girondins : Barnave, Le Chapelier, Rabaut Saint-Étienne et l’ex-président, Bailly. Comment placer dorénavant au centre de la mémoire révolutionnaire un événement dont les initiateurs sont en fuite ou croupissent en prison ? Marat, avec sa modération habituelle, avait déjà brandi des menaces sur les « pères conscrits », qu’il décrivait comme d’avides fripons trafiquant les droits de la nation vendue au roi. Le Serment se plaçait en effet dans un cadre monarchique. Anachronisme injuste : on reproche aux députés du tiers de 1789 de n’avoir pas agi comme en 1792. Tous n’ont pas les excès de Marat et ce changement d’humeur n’empêche pas la Convention de continuer à se soucier du sort de la salle. Le conventionnel Marie-Joseph Chénier, sans doute sensibilisé par le poème de son frère, expose à l’Assemblée les difficultés traversées par le nouveau locataire, Lataille, qui lui a soumis ses doléances. Non seulement la ville de Versailles a eu à subir un exode démographique, à la suite du transfert de la Cour et de toutes les instances du pouvoir à Paris en octobre 1789, mais plus personne ne vient jouer dans un lieu qui souffre d’un double handicap. Pour les nostalgiques de la monarchie, elle incarne le début de la fin, pour les républicains zélés, elle est devenue un sanctuaire qu’il serait sacrilège de violer par « des jeux frivoles ». Résultat, la salle, désertée, a dû être fermée, occasionnant un manque à gagner pour le sieur Lataille, qui se déclare, en termes merveilleusement hypocrites, « hors d’état d’offrir à la nation le sacrifice de sa propriété ». Autrement dit, les négociations sont ouvertes. L’occasion pour l’État de se porter acquéreur d’un site dont il souhaite faire un lieu de culte.


Marie-Joseph Chénier prend la parole le 11 brumaire de l’an II (1er novembre 1793) pour rappeler que, si certains députés du tiers se sont fourvoyés par la suite, le Serment ne marque pas moins le point de départ d’une histoire glorieuse dont la Convention est la dépositaire. Cet appel au rassemblement et à la réconciliation débouche sur un double décret qui vise à déclarer la salle « Bien national » et à consacrer son usage à l’« instruction nationale ». Le terme est assez vague. Veut-on en faire un musée ? Un édifice simplement ouvert au public et destiné à son édification citoyenne et patriotique ? Chénier ne précise pas, même s’il annonce que Versailles, jadis ignoble cité de l’absolutisme, « a bien mérité de la patrie », termes qu’il se propose de graver au sein de l’édifice. Les décrets sont pris, il ne reste plus qu’à estimer les dédommagements avec le locataire, Lataille, et les propriétaires, qui sont au nombre de trois. On y retrouve le capitaine Talma, oncle du tragédien, mais l’une des parties juge le prix proposé trop bas. Cette contestation incite la Convention à l’une de ses pratiques favorites, l’envoi de représentants en mission, en l’occurrence Charles-François Delacroix, le père du peintre, député de la Marne. Celui-ci professe à l’encontre de Versailles des idées assez extrêmes, puisqu’il a proposé de raser le château de Versailles. Ses conclusions oscillent entre la fermeté et la menace : « Autant il est équitable de récompenser les propriétaires du Jeu-de-Paume du courage qu’ils ont eu de donner asile aux précurseurs de la liberté, autant il serait déplacé et criminel d’excéder les justes bornes que la nature a prescrites à la munificence nationale. » Pas question de faire monter les enchères et de profiter de la situation, la salle du Jeu de Paume n’a pas vocation à se transformer en un marché spéculatif. Ce différend va compromettre le projet architectural qui avait accompagné cette « nationalisation » de la salle. L’expert nommé pour l’occasion par les Domaines nationaux, Eustache de Saint-Far, responsable pour la Seine-et-Oise des Biens nationaux et émigrés, avait en effet conçu un « Temple du Serment » dont les croquis sont consultables aux Archives nationales. Un vaste portique néo-classique avait été envisagé, surélevé, encadré par une double arche ouverte sur l’intérieur du monument, deux statues en marquant le seuil. Cette ouverture du côté nord devait être visible de loin. Il souhaitait abattre les habitations environnantes, afin d’isoler le Temple, éviter tout incendie et creuser une rue qui mènerait jusqu’à la place d’Armes, rebaptisée place de la Révolution. Cette monumentalisation de l’extérieur s’accompagnait d’une certaine fétichisation, les tonneaux et les planches ayant servi de bureaux le 20 juin 1789 devant être reproduits à l’identique. Jamais la salle du Jeu de Paume ne fut si près d’accéder à la consécration grâce à ce Saint-Far. Mais l’affaire traîna.


Sans doute le souvenir de la journée du Serment s’estompait-il dans une France traumatisée par la Terreur, épuisée par les guerres et déroutée par les changements de régime. Six ans ont passé. Une éternité. Se référant à la Constitution de l’an III (1795) qui prévoit l’institution de fêtes patriotiques, le ministre de l’Intérieur écrit à la préfecture de Seine-et-Oise afin de l’inciter à célébrer le 20 juin devenu le 30 prairial. Mais la cérémonie à Versailles, annoncée tardivement, est un échec. Le Serment ne passionne plus les foules et l’on en vient à regretter l’enthousiasme de 1790, lorsque la fête organisée par Romme et la Société du Serment-du-Jeu-de-Paume avait suscité la ferveur communale. Romme, un montagnard, s’est justement suicidé en prison après l’échec de l’insurrection du 20 mai 1795.


En septembre 1799, l’ancien ministre de la Justice, Garat, qui avait notifié à Louis XVI sa sentence de mort, rédige un nouveau rapport pour le Conseil des Anciens où il rappelle l’opportunité de céder aux propriétaires de la salle du Jeu de Paume un domaine national de valeur égale. Il y regrette l’opprobre que certains Montagnards ont jeté sur les députés du tiers de 1789, qui aurait dissuadé David de poursuivre l’exécution de son chef-d’œuvre. Après avoir achevé son ébauche, celui-ci, pour des raisons tant politiques que financières, a peint en effet cinq personnages, puis a reposé ses pinceaux : ses sympathies pour Robespierre, qui lui ont valu d’être emprisonné après Thermidor, ne l’incitaient guère à poursuivre une œuvre qui n’avait plus le soutien de ses amis montagnards. Garat exhorte « l’immortel » David à reprendre son travail, mais celui-ci, qui s’est trouvé un nouveau maître en la personne de Bonaparte, décline la proposition. Dans un mémoire rédigé en 1802, il se justifiera auprès de ses « concitoyens souscripteurs » de l’inachèvement de son tableau. Assez habile pour n’en faire qu’une question strictement financière, il dit y avoir consacré suffisamment de temps et d’argent.


D’une révolution à l’autre

En septembre 1800, une loi indemnise enfin les propriétaires de la salle du Jeu de Paume. Les négociations de marchands de tapis ont pris fin, mais il n’est plus question de rendre un culte à une salle qui évoque désormais d’assez mauvais souvenirs au nouveau maître de la France. Lors du coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799), les députés du conseil des Cinq-Cents, attirés dans le piège de l’orangerie du château de Saint-Cloud, se sont en effet donné du courage, face aux grenadiers de Bonaparte qui les menaçaient, en rappelant le souvenir du Serment. Celui-ci symbolise désormais la résistance à la tyrannie qui a cependant changé de camp. Eux aussi vont prêter serment de fidélité, en l’occurrence à la Constitution de l’an III que Sieyès, manœuvrant pour Bonaparte, veut abroger. Dans la nuit qui suit le coup d’État, alors que les députés hostiles à Bonaparte ont finalement fui par les fenêtres, celui-ci s’en inquiète auprès de son frère, Lucien, président de cette Assemblée désormais éparpillée : « Quelle serait notre position si le conseil des Cinq-Cents allait retourner au Jeu de Paume ? » Bonaparte redoute l’effet galvanisant de ce symbole que les députés ont convoqué la veille et qui est susceptible de devenir un point de ralliement. L’hypothèse n’a rien d’improbable, car Fouché ayant fait bloquer les accès à Paris, les parlementaires rebelles auraient pu effectivement se replier à Versailles. Par un retournement cynique, Lucien le rassure : « Si la liberté naquit dans le Jeu-de-Paume de Versailles, elle fut consolidée dans l’Orangerie de Saint-Cloud. » Le coup d’État a mis un terme à la Révolution, il était logique qu’elle récupère en l’occultant un de ses lieux symboliques.


Bonaparte ira jusqu’au bout de cette logique en concédant la salle à un peintre qu’il charge, par ses tableaux, de glorifier son action : Jacques-Antoine Gros. Ami de Joséphine de Beauharnais, qu’il avait rencontrée en Italie dès la première campagne de 1796, Gros s’était introduit dans les bonnes grâces de son époux dont il était devenu le préposé à la spoliation des œuvres d’art sur le territoire transalpin. Un peintre, avait-il songé, saurait avoir l’œil pour voler avec goût. Élève favori de David, ce jeune homme doué, qui avait débuté par le portrait des conventionnels, se fourvoya en acceptant la commande en 1801 du Combat de Nazareth. Cette bataille qui avait pour inconvénient majeur de mettre en valeur l’un des subordonnés de Bonaparte, le général Junot. Alors qu’il venait d’achever l’ébauche, il reçut l’ordre de laisser en plan son travail pour se consacrer à une autre scène, Les Pestiférés de Jaffa. Celle-ci datait également de la campagne égyptienne, mais avait pour héros le seul digne de l’être. Gros n’hésita pas à utiliser la toile géante promise à Nazareth pour Jaffa, où Bonaparte circulait, bienveillant et consolateur, parmi les malades de la peste qu’il avait en réalité fait massacrer. Là où la peinture d’histoire attendait toujours Le Serment de David, on eut droit aux ajustements de son maître.


Des blessés, des mourants, la salle en accueillit pour de bon au crépuscule de l’Empire. Fin juin 1815, peu après Waterloo, le général Exelmans tenta un dernier baroud d’honneur contre les Prussiens à hauteur de Rocquencourt. On amena les victimes à Versailles où cette grande salle vide semblait idéale pour entreposer des brancards. L’asile de 1789 devint hospice militaire. Et le Serment était si bien passé de mode qu’en 1806, à la mort de Mounier, le député de Grenoble qui en avait eu l’initiative, sa notice nécrologique ne mentionna même plus ce fait d’armes.


La Restauration porta évidemment le coup de grâce. De retour au pouvoir, les monarchistes ne songeaient qu’à purger les crimes de la Révolution. Ce Serment était le premier d’entre eux et cette salle, l’antre de la traîtrise et du parjure. Les galeries furent détruites. Le mur donnant sur la rue fut éventré et remplacé par une large baie, encore visible aujourd’hui. On retira l’inscription « Versailles a bien mérité de la patrie ». Quant au honteux serment gravé dans le marbre, « ils l’avaient juré, ils ont tenu parole », datant de 1790, il fut tout simplement retourné contre le mur. La salle devint un entrepôt pour les décors et les costumes du théâtre du château de Versailles. En 1814, on ne se glorifiait plus d’avoir prêté serment en 1789, mais au contraire d’avoir refusé de le faire, témoin ce parent de Martin d’Auch, le seul opposant, qui obtint de reprendre son nom.


Seule une nouvelle révolution pouvait redonner du lustre au berceau de la première. Dès le 14 mars 1848, un grand banquet y est organisé. Quoi de plus logique. Les républicains avaient fait triompher leurs idées en organisant des banquets qui contournaient l’interdiction de réunion. On ne fête pas seulement la IIe République en portant un toast aux fantômes du 20 juin. Le nouveau ministre de l’Intérieur, qui coiffe aussi les Beaux-Arts et les Musées, Ledru-Rollin, vient de prendre ce jour-là un arrêté qui classe parmi les Monuments historiques la salle du Jeu de Paume. Huit ans auparavant, Prosper Mérimée avait élaboré la première liste hexagonale de ces monuments à sauvegarder. La décision versaillaise est éminemment politique. Ledru-Rollin est un radical. Fervent partisan du suffrage universel, précurseur oublié du radicalisme et du parti républicain, il croit aussi fermement au rôle démocratique de la culture. Même si sa formulation en est parfois inexacte ‒ « le lieu où pour la première fois s’est produite avec éclat et solennité la volonté nationale » (1) ‒, ses motivations méritent attention. Aux monuments classés pour des raisons esthétiques ‒ « les édifices précieux sous le rapport de leur exécution ou de l’histoire de l’art en France » ‒ Ledru-Rollin ajoute pour l’occasion une considération pédagogique : « ceux qu’un souvenir glorieux recommande au respect du peuple. » La salle du Jeu de Paume pourrait devenir l’emblème, le modèle d’un monument destiné à l’éducation populaire. On retrouve la vocation que lui réservait l’arrêté assez flou de la Convention pris fin 1793. Dans le même temps, l’ébauche de David, l’œuvre originale, fait son entrée dans les murs, prêtée par le Louvre et enfin déroulée. La représentation de la scène est mise en regard, in situ, de son décor. Belle mise en abyme du théâtre de l’histoire. L’exposition en sera éphémère. Passés les premiers mois enthousiastes de la IIe République, le mois de juin voit s’abattre la répression sur les ouvriers et le Louvre reprend son bien aux vertus dangereuses pour le ranger prudemment dans un coin.


Le Second Empire fait mieux encore que le Premier. Les dalles du sol sont arrachées, les murs badigeonnés, le lieu est démembré : d’un côté, un tripot, de l’autre, juste retour des choses, un jeu de paume attribué à un sous-chef de la préfecture de police. Aux vestiges de la Révolution, Napoléon III préfère ceux de l’Antiquité gallo-romaine, qu’il fait exhumer aux quatre coins du territoire. La ruine touche notre policier, qui demande en vain au gouvernement une compensation. L’état de la salle s’est considérablement dégradé. La IIIe République va-t-elle permettre une nouvelle résurrection, plus durable qu’en 1848 ? Versailles n’en est-elle pas la capitale ? À la suite du roi de Prusse sacré empereur du Reich allemand dans la galerie des Glaces, Thiers, le chef du gouvernement, a installé ses bureaux à la préfecture ‒ il en repartira avec les plaques de propreté ‒ et son successeur, Mac-Mahon, élit domicile dans l’hôtel de Fontenoy, à deux pas de la salle du Jeu de Paume. Le lieu est loué à un couple, les époux Delattre, qui sont aussi les gardiens du « temple ». Son nouveau propriétaire, le ministère des Travaux publics, ne semble guère pressé de lui trouver un usage… public.


L’éducation populaire

Tout change en 1875. L’arrivée à Versailles de l’Assemblée nationale oblige à faire de la place au sein du château. Il faut trouver un lieu pour mettre les dizaines de bustes, de statues et de tombeaux qui doivent déménager. Le ministre de l’Instruction publique, Ernest Wallon, qui a sous son autorité les Beaux-Arts, prie son collègue des Travaux publics de bien vouloir lui céder la salle qui sert donc à nouveau d’entrepôt. Seule condition requise et acceptée par le ministre dépossédé, qu’on ait accès au monument. Mais personne ne songe à pousser la porte de ce capharnaüm de bustes, de statues où l’on trouve neuf statues de la famille Bonaparte, ainsi que celles des généraux Pichegru et Dumouriez, sans compter vingt-neuf rouleaux de tableaux. Les protestants de Versailles, dont le temple est en reconstruction, demandent un asile provisoire dans cette salle. Cela suscite un vif émoi au château qui fait savoir auprès des ministères compétents que pour pouvoir accéder à cette requête il faudrait d’abord lui trouver un local aux dimensions équivalentes et financer le déménagement des statues et des tombeaux conservés dans la salle et dont le nombre ne cessent de s’accroître.

Nouveau rebondissement en juillet 1879. Toutes les institutions de l’État quittent Versailles pour Paris. Les Assemblées s’en allant, Édouard Charton, sénateur de Seine-et-Oise qui demeure à Versailles, où il a exercé les fonctions de préfet, s’avise que le dépôt de la salle du Jeu de Paume va pouvoir regagner le château. Charton est un saint-simonien reconverti dans l’édition, l’âme et la cheville ouvrière du Magazine Pittoresque, de La Bibliothèque des Merveilles et d’une foule d’illustrés destinés à l’éducation populaire, qui ont fait la gloire du xixe siècle. Ce pionnier de la vulgarisation n’a pas oublié le projet initial de vouer à l’édification du peuple la salle qu’il va sauver du purgatoire. Proche de Jules Ferry, nouveau ministre de l’Instruction publique, il le persuade de la vider des œuvres qui y ont été entreposées pour retrouver l’aspect d’antan avant que le lieu ne tombe définitivement en ruine. On commence par retourner dans le bon sens la plaque du serment, qu’on encadre d’un édicule dorique, couronné d’un coq gaulois. Les colonnes de marbre proviennent du bosquet des Dômes dans le jardin du château. Une statue de Bailly est ajoutée, le président brandissant une copie du serment. Une frise court désormais autour de la salle, avec les noms des 630 signataires, tandis que vingt bustes des députés les plus éminents forment une petite troupe autour de Bailly. Sur le pignon sud sont inscrits à nouveau les décrets de 1793 et de 1848, tandis que sur le pignon nord une copie géante de l’ébauche de David est réalisée par Olivier Merson. Le Louvre, qui expose enfin l’original en 1880, a refusé de le prêter et ne le confiera qu’en 1921 au château de Versailles, où il se trouve actuellement dans l’attique Chimay. Le 20 juin 1883, tout est prêt, ou presque, pour accueillir Jules Ferry et son collègue de l’Intérieur, Waldeck-Rousseau, afin d’inaugurer un musée de la Révolution française. On a pris quelques années d’avance sur le centenaire de cette Révolution qui a le vent en poupe dans la République consolidée des années 1880 et dont le point d’orgue doit être le dévoilement de la tour Eiffel. La salle n’en est pas absente. Le 20 juin 1889, il y a foule à Versailles où la municipalité a lancé les invitations aux villes qui avaient envoyé des députés en 1789. De nombreux maires, des députés et sénateurs en pagaille, ainsi que trois ministres, ont fait le déplacement. Pour éviter les dommages d’une cohue, on prend soin d’instaurer une barrière autour de la statue de Bailly. Le cortège a quitté l’hôtel de ville sous les auspices d’un gracieux lâcher de pigeons. « Trop longtemps délaissée, la salle du Jeu de Paume a été restaurée en 1883 avec un goût parfait, résume le frère Thénard, qui pour une loge versaillaise rédige un opuscule sur ces fêtes du centenaire. On lui a conservé son caractère primitif et si les murs du pourtour ne sont plus nus comme il y a un siècle, tout ce qui s’y voit rappelle, en le glorifiant, l’événement inoubliable auquel cette masure auguste a dû son illustration. »


En 1894, il faut déjà songer à la réfection des inscriptions. Situé sur un terrain humide, les infiltrations se multiplient et accélèrent le délabrement d’un édifice fragile. Le musée de la Révolution française porte certes un nom prometteur mais un peu trompeur car il est centré sur la journée du 20 juin. En 1930, sont installées une maquette de la Bastille réalisée avec les pierres de la forteresse ainsi que des vitrines pédagogiques. Désormais rattachée au château de Versailles, la salle est alors peu visitée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les vitrines sont rapportées au château où elles demeurent jusqu’à la fin des années 1950. Les hommes ayant horreur du vide, on s’avise que cet espace immense pourrait très bien accueillir… des tables de ping-pong pour les questeurs de l’Assemblée nationale qui sont logés dans des dépendances du château. D’un jeu de balles l’autre.


Tout au long des années 1950, la salle accueille des sessions d’examens pour l’aptitude professionnelle de l’Enseignement technique. La salle sert aussi de salon de peinture en 1963. En 1989, à l’occasion du 200e anniversaire de la Révolution française, elle fait l’objet d’une restauration qui permet de rafraîchir les lieux. Le 20 juin, le présidente Mitterrand y reçoit des classes de toute la France dans le cadre des commémorations du bicentenaire.

Si quelques interventions ponctuelles ont lieu dans les années 2000, la dernière restauration a été conduite entre juillet 2021 et février 2022. Le chantier a porté aussi bien sur le clos et le couvert que sur les décors intérieurs. La période de référence qui a été retenue pour cette restauration est celle de 1883 et de l’aménagement pour le musée de la Révolution française.


Le serment

« L’Assemblée Nationale, considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations, dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée Nationale – arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront à l’instant serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie. »


La salle du jeu de Paume

En 1789, la salle était plus sombre qu’aujourd’hui en raison des tentures noires qui permettaient de mieux voir la balle. Pas de rideaux, comme le peindra David, mais des filets pour retenir les balles. La galerie, qui accueillait à l’étage les spectateurs, sera détruite quelques années plus tard. Ironie de l’histoire, le plafond était peint en bleu, parsemé de fleurs de lys, orné en son centre des armes de France. Car si le lieu était privé, il était né sous des auspices royaux. Louis XIII, comme nombre de ses prédécesseurs, aimait à se dépenser à la paume. Il fit construire un jeu dont on a retrouvé les vestiges lors de récents travaux au château – son fils, Louis XIV, qui préférait la danse ou le théâtre, l’avait fait détruire pour édifier le Grand Commun. Si les palais royaux du Louvre, de Vincennes, de Fontainebleau, de Compiègne ou de Saint-Germain-en-Laye disposaient d’un jeu, Versailles s’en trouva ainsi dépourvu. Jean Bazin, concierge en charge de tous ces établissements, décida de remédier à ce manque. La chose lui fut assez aisée, il en avait le privilège exclusif. Avec son gendre, Nicolas Cretté, également paumier-raquettier, il acheta un terrain, non loin du château, à l’angle de la rue du Vieux-Versailles et de la rue Saint-François. C’était en 1686, l’année de la fistule anale de Louis XIV. Pour se remettre de sa maladie, Fagon, son médecin personnel, lui aurait conseillé de l’exercice physique. La légende veut que la salle ait été construite en toute hâte pour être inaugurée par le royal invité. L’endroit aurait ainsi bénéficié d’une publicité extraordinaire. Il fut ouvert en réalité le 1er janvier 1687 par le Grand Dauphin, mais sa Majesté en personne, un peu plus tard, serait venue taper quelques balles, franchissant avec plaisir une porte au-dessus de laquelle, en ronde-bosse, avait été sculpté en son hommage un soleil rayonnant. Charles Perrault, dans ses Mémoires, atteste de cette présence pour la regretter : dans une salle adjacente, le roi, après s’être échauffé au jeu, se faisait frictionner dans une promiscuité de mauvais aloi. Par la suite, la salle connaît les aléas de l’engouement pour ce sport, qui fut variable. Après avoir souffert d’un certain désintérêt, le jeu de paume redevient à la mode sous Louis XVI. Son frère, le comte d’Artois, futur Charles X, y est un « joueur de seconde force », autrement dit redoutable, ce qui oblige son cousin, le duc de Chartres, qui régnera sous le nom de Louis-Philippe, à tricher pour gagner. On prend des paris, on y dépense des sommes considérables, le lieu est populaire. En 1789, le propriétaire n’est autre que Jean-Paul Talma, l’oncle du célèbre comédien, tandis que le gérant réserve le meilleur accueil aux députés du tiers qui, avertis par le bouche-à-oreille, arrivent toujours plus nombreux au fil de la matinée de ce 20 juin.


L'avenir du tableau

Après la mort de David en 1825, l’ébauche du Serment fut récupérée par ses héritiers. Lors de la première vente de ses œuvres, en 1835, elle ne trouve pas preneur. Un an plus tard, les musées royaux en font l’acquisition pour le Louvre. Mais elle n’est pas exposée et végète enroulée. Et si la monarchie de Juillet, qui ouvre au château de Versailles un musée de l’histoire de France, brille par l’art de la synthèse et de la réconciliation, la salle n’en bénéficie pas. Louis-Philippe batailla certes dans les troupes de la Révolution jusqu’en 1792, mais en ce lieu il avait triché au jeu de paume contre le futur Charles X et on l’avait pris sur le fait. Tout juste lui redonna-t-il l’usage que Napoléon lui avait naguère réservé : celui d’atelier d’artiste. L’heureux bénéficiaire fut cette fois Horace Vernet qui eut à immortaliser pour le musée du Château des victoires du régime où s’était illustré le fils du roi, le duc d’Aumale. Elles nécessitaient des toiles à la mesure du triomphe. Après Jaffa, ce fut donc La prise de la Smalah, le plus grand tableau, en dimensions, du xixe siècle. La salle, vaste par destination, était condamnée aux superproductions picturales.

 
 
 

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