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Cécile Berly« À Versailles, la magie opère »

Historienne spécialisée dans l’étude du xviiie siècle et biographe des principales personnalités féminines du temps, Cécile Berly a publié de nombreux ouvrages sur la cour de Versailles et notamment sur Marie-Antoinette. Son récent ouvrage, La légèreté et le grave. Une histoire du xviiie en dix tableaux vient de paraître aux éditions Passés Composés.


Propos recueillis par David Chanteranne, rédacteur en chef


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Pourriez-vous nous parler de votre premier souvenir de Versailles ?


J’en ai un souvenir très précis. Je n’avais pas encore dix ans, habillée de jaune soleil. Je me souviens qu’il y faisait très beau et très chaud. Le château brillait sous un soleil de plomb. Je me souviens de cette chaleur étouffante, assise avec mes parents, à proximité du parterre d’Eau. Pour mes yeux d’enfant, ce fut autant un éblouissement qu’un enchantement ­– même si j’ai pu être effarée par les moustiques présents en grand nombre. Déjà toute petite, j’adorais visiter les châteaux et leurs jardins. Pour moi, aller à Versailles, c’était jour de fête. Je me souviens également de la foule qui se pressait dans les appartements d’apparat. On y étouffait quelque peu. Mon livre préféré de petite fille était Alain Decaux raconte la Révolution française aux enfants. Un livre richement illustré. Au château, ce jour-là, j’ai dû être à la recherche de certains des dessins de mon livre de chevet, comme la jeune Manon, simplement vêtue, évoluant dans les jardins et qui restera, dans l’Histoire, sous le nom de Madame Roland. Lors de cette première visite à Versailles, j’ai vraiment senti, avant de l’étudier et de le comprendre bien plus tard, que cet ensemble monumental était, avant tout, un décor de théâtre, hors du temps. À vivre, ce fut l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance.


Quels sont vos meilleurs souvenirs de Versailles ?


Quelle question cornélienne ! Il y a la création du livre Marie-Antoinette à Versailles avec la photographe Sophie Lloyd où nous avons pu entrer dans tous les lieux du château, du Petit Trianon et du Hameau, y compris les plus inaccessibles, pour reconstituer la géographie personnelle et surtout intime de la reine. Ce livre nous avait été commandé par les éditions du château de Versailles et la RMN. Un autre temps très important dans ma carrière d’historienne a été la programmation des Journées européennes du patrimoine en 2012 où l’un des services culturels du château m’a, en quelque sorte, donné carte blanche pour les préparer à partir de cette figure que j’aime tant étudier, madame de Pompadour. Ce fut une expérience très enrichissante et formatrice. À la suite de ces Journées, j’ai réuni une partie de la correspondance de la favorite pour en faire son portrait épistolaire, un livre original dans le fond comme dans la forme. Et c’est toujours un immense plaisir pour moi que d’être en conférence pour les abonnés du château. Ce sont des passionnés, des auditeurs exigeants et, pour la plupart, de fins lecteurs.


Vos ouvrages concernent le xviiie siècle et plus particulièrement les femmes à la fin de l’Ancien Régime. Quelle place accordez-vous à Versailles dans vos recherches ?


Une place qui est, dans la plupart des cas, centrale. Quand on travaille sur l’histoire du xviiie siècle, Versailles n’est jamais loin des problématiques formulées, des thèmes développés ou des idées qui traversent le siècle dans son ensemble. Versailles, c’est une géographie, une capitale politique, le lieu d’ancrage de la cour, autant flamboyante que décadente. Versailles, pour les femmes et les hommes du xviiie siècle, n’est jamais ignoré, y compris quand ils passent la plus grande partie de leur temps éloignés de la cour, fuyant ses pesanteurs. Ceux qui volontairement n’y paraissent pas ou plus, en parlent toujours. C’est le cas d’une madame du Deffand qui en parle ou qui l’évoque sans cesse dans ses écrits. Au xviiie siècle, la cour n’est pas seulement perçue comme surannée. Elle est une sorte de laboratoire où de nouvelles sensibilités sont expérimentées. Je pense, en premier lieu, au frémissement de l’intime, qui s’affirme tout au long du siècle, avec deux jalons importants : le règne de Louis XV et de certaines de ses favorites (Pompadour et Du Barry) puis celui de Marie-Antoinette et de Louis XVI. C’est à la cour de Versailles que les personnalités les plus publiques du royaume se créent des temps et des espaces réservés à la vie privée et même à une forme d’intimité. Ce n’est qu’un paradoxe apparent. Pour moi, la cour de Versailles a toujours été à la pointe d’une certaine forme de modernité, ce qui n’a pas manqué de créer des décalages importants entre, par exemple, la famille royale et les courtisans, ou la cour et le reste du royaume. Comme je le répète souvent : si on prend l’exemple de Marie-Antoinette, on ne lui a jamais reproché d’être reine de France, mais de ne pas suffisamment incarner sa fonction.


Le regard que portent les historiens sur Marie-Antoinette a-t-il évolué au cours des deux dernières décennies ?


C’est le moins que l’on puisse dire ! Il y a environ une vingtaine d’années, quand on souhaitait travailler sur la reine Marie-Antoinette, il était bien difficile de convaincre des universitaires ou des laboratoires de recherche. Disons-le simplement : Marie-Antoinette n’était pas un sujet sérieux, ni même digne d’un travail universitaire. Je ne cache plus que toutes ces années de formation ont été semées d’embûches, de propos malveillants voire de conduites indignes de la part d’intellectuels reconnus. Cependant, avec le temps et à force d’un travail acharné, j’ai réussi, à la suite de grands historiens comme Chantal Thomas, Mona Ozouf, Catriona Seth, Évelyne Lever ou Antoine de Baecque, à faire de Marie-Antoinette un sujet d’histoire à part entière. La reine, c’est l’affrontement permanent entre ceux qui l’idolâtrent et ceux qui la détestent, entre un récit hagiographique et une légende noire, entre la martyre et la scélérate. L’idée étant de dépassionner le sujet et de le replacer dans un contexte historique qui est d’une grande complexité (je pense, en particulier, à celui de la Révolution). Quand on travaille sur Marie-Antoinette, on est confronté à une masse documentaire, largement fabriquée de toutes pièces, et qui donne assurément le vertige. Pour moi, il est temps d’en faire un personnage historique, de l’inscrire précisément dans son temps, et de poser enfin les bonnes problématiques sur des archives qui ont été lues maintes fois sans pour autant avoir été correctement étudiées et comprises. 


Vous connaissez très bien Versailles, mais êtes-vous encore émerveillée et vous laissez-vous encore surprendre par le lieu ?


Assurément ! À chaque fois que je m’y rends, la magie opère. Pourtant, depuis une dizaine d’années, quand je me déplace jusqu’à Versailles, c’est toujours pour y travailler. Plus je m’approche de la place d’Armes, plus l’émotion grandit. Il y a une réelle excitation : quelque part je revis l’émotion vécue quand j’étais cette petite fille qui redécouvre un espace monumental, comme sorti des eaux (ou de marais asséchés), un lieu où l’histoire s’est figée dans une organisation immuable, celle de l’Étiquette. Mais également un lieu où tout a basculé, en quelques semaines seulement, à partir de la convocation des États généraux en mai 1789, jusqu’au départ précipité de la famille royale le 6 octobre suivant. C’est à Versailles que cohabitent deux temporalités différentes, ennemies, mais ô combien fascinantes : celle de l’Ancien Régime et celle de la Révolution, celle où la monarchie s’effondre et celle où naît notre modernité politique. En tant qu’historienne et écrivaine, ce sont ces basculements, ces temporalités différentes, ces sensibilités opposées qui me passionnent. Versailles en est la géographie exemplaire. Par ailleurs, Versailles est aussi le lieu où la légèreté d’un siècle a été en partie élaborée et entretenue. Le lieu également d’une gravité qui a pu confiner au drame. Légèreté et gravité, deux facettes antagonistes et complémentaires d’un même siècle. Je fais bien sûr allusion à mon dernier ouvrage (1) dans lequel, à partir de dix tableaux réunis, je fais des va-et-vient continus entre Versailles et Paris. 


Quels sont vos lieux préférés à Versailles ?


Parmi les lieux que je préfère, il y a ces points de passage entre la vie publique et la vie privée. Ouvrir la porte située à proximité du fameux serre-bijoux de la reine, et, de là, observer sa chambre d’apparat. Au seuil de cette porte, on comprend à quel point Versailles est un vaste théâtre politique qui met en scène la personne royale. Quand Marie-Antoinette en franchit le seuil, elle est la reine de France. De l’autre côté, en coulisses, elle peut avoir l’illusion de n’être plus qu’une simple particulière. Le salon de l’Œil-de-Bœuf, très lumineux, entièrement consacré à la vie publique, est un espace fascinant et qui stimule l’imagination de l’historien et/ou de l’écrivain. On imagine les courtisans déambuler, converser, médire. Un lieu qui grouille de monde et de rumeurs. Un tout petit espace, très exigu, me touche : c’est le cabinet des Poètes de la reine Marie Leszczynska, où elle se réfugie pour écrire, lire ou méditer. Le théâtre de Marie-Antoinette, situé à proximité de son Petit Trianon, est un espace étonnant, émouvant, et qui permet de comprendre toutes les incompréhensions, tous les décalages qui se sont accumulés au fil du temps entre la reine de France et une partie des courtisans, puis avec l’ensemble du royaume. 


Que représente Versailles pour vous : est-il bien ancré dans son époque ?


Nos contemporains ont soif d’histoire. Ils sont à la recherche de repères : historiques, patrimoniaux, esthétiques. Depuis le xviie siècle, Versailles fascine et exerce de nombreuses influences en France, en Europe et dans le monde entier. Je n’ai aucune vision passéiste de l’histoire. Quand le château a organisé les premières expositions d’art contemporain entre ses murs ou dans ses jardins, j’avais trouvé cette démarche tout à fait pertinente et stimulante. Dès son origine, Versailles est le lieu de la modernité, qui accueille et protège les artistes et artisans de son temps. Aujourd’hui, Versailles est un repère, celui d’une histoire qui ne demande qu’à être dépoussiérée.


On vous donnerait une baguette magique, que feriez-vous pour Versailles ?


Pour commencer, je tournerais au plus vite la page des ces années d’épidémie qui ont été une rude épreuve pour l’ensemble de nos monuments historiques et musées. Dans le discours collectif, on a un peu trop vite oublié que, sans activités touristiques, le patrimoine ne peut vivre, ne peut être entretenu. En outre, je développerais des parcours de visite où les points de bascule entre Ancien Régime et Révolution française seraient plus lisibles. Expliquer comment un régime politique peut s’effondrer très rapidement et, dans le même temps, participer à la création de notre modernité politique. La France d’aujourd’hui est aussi née à Versailles. Je souhaite au château de retrouver tous ses publics, et d’être résolument tourné vers l’avenir en multipliant les partenariats et les collaborations avec des chercheurs, des écrivains, des artistes. Versailles a un tel potentiel qu’il lui appartient de participer activement à la culture de demain.

 
 
 

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